Les origines de l’escadron

Les origines de l'Escadron (Juin 1937)

Le No.615 (County of Surrey) Squadron trouve ses origines dans le cadre du développement de la Auxiliary Air Force. Cette dernière trouve son origine dans les idées de Lord Hugh Montague Trenchard visant à établir un corps d’élite de volontaires civiles, tous issus de la bonne société britannique, au sein de la force aérienne. Ainsi, les candidats doivent obtenir un brevet de vol sur leurs propres deniers, soit l’équivalent de £96, ce qui correspond aujourd’hui à environ 5 500 €, somme non négligeable pour l’époque. Certes, cette dépense est censée être remboursée en cas d’incorporation dans la Auxliary Air Force. Or, la commission de sélection est organisée par chacune unité, ce qui permet d’en restreindre l’accès à un cercle social bien particulier. Les volontaires, une fois acceptés, signent un engagement pour une période de cinq années durant laquelle ils doivent s’entraîner un certain nombre d’heures par trimestre, ainsi que participer à un camp annuel d’entraînement d’une période de quinze jours en été[1].

Ce côté très élitiste est parfaitement mis en lumière par le Group Captain Hugh S.L. Dundas lorsqu’il décrit rétrospectivement son expérience au sein du No.616 (South Yorkshire) Squadron :

« Être un membre d’un Squadron de la AAF consistait à appartenir une élite jalousement gardée, dont l’accès était barré par des conventions sociales et financières, qu’il était difficile de contourner »[2].

Le cas de High Dundas est, par ailleurs, assez illustratif puisque son cousin et parrain, Sir Harald Peake, commande le No.609 (West Riding) Squadron où sert notamment son frère John. On retrouve les mêmes caractéristiques auprès du No.607 (County of Durham) Squadron. Ainsi, le commandant, le Squadron Leader Walter L. Runciman, dirige une entreprise familiale dans le domaine de la livraison, tandis que l’officier médical est un voisin de Runciman, et que les premières recrues sont tous des avocats, des ingénieurs, des agents immobiliers ou travaillant dans le milieu des affaires. Le Squadron Leader Walter L. Runciman préfère même rester en sous-effectif afin d’accepter des candidats conformes à ce qui est attendu et uniquement sur recommandation d’un autre membre de l’unité[3]. Si on place de côté le cas bien particulier des unités londoniennes, on ne peut nier cette uniformisation sociale. Comme l’explique Louise Wilkinson :

« il est évident que les jeunes candidats partageaient un environnement social commun ; la plupart provenaient de propriétaires terriens ou d’entreprises familiales, particulièrement dans le domaine des textiles, charbonniers, transports de bois et verres, voire de juristes ou journalistes. Beaucoup aimaient les sports de l’élite comme la chasse au renard, la navigation de plaisance, la pratique de l’aviron, le rugby ou le cricket. Ils avaient souvent été formés à Oxford ou Cambridge. Par ailleurs, les connections sociales restaient importantes à travers le réseau des publics school et du sport, lequel trouvait une expression nouvelle dans la AAF. On voit ainsi un système de solidarité de classe prendre le pas sur les identités régionales des différentes unités »[4].

Toujours est-il que le No.615 (County of Surrey) Squadron est créé le 1er juin 1937 sur la base aérienne de Kenley, dans la banlieue sud de la métropole londonienne. Son premier commandant, le Squadron Leader Arthur V. Harvey mérite que l’on s’arrête brièvement sur vie précédente. Il naît le 31 janvier 1906 dans le Suffolk et rejoint la RAF en 1925. Il sert alors au sein du No.9 (RAF) Squadron avant d’obtenir la qualification d’instructeur. Il connait, alors, une première expérience avec la AAF puisqu’il est transféré comme instructeur auprès du No.602 (City of Glascow) Squadron. Il quitte, cependant, la force aérienne à l’issue de son engagement en 1930 pour partir à Hong-kong en qualité de directeur de la Far East Aviation Company Ltd. Cette période est, cependant, de courte durée puisqu’il rejoint la Chine nationaliste dès 1932 comme conseiller militaire en matière d’aviation avec le grade honoraire de Major-General. Cette expérience prend brutalement fin en 1939, lorsqu’il est contraint à un atterrissage forcé en territoire japonais durant un vol au-dessus de la Mandchourie. Interné pendant un mois, il est finalement relâché avec une interdiction d’accès à vie. De retour au Royaume-Uni, il décide peu après d’intégrer la AAF, et fonde finalement l’unité.

Il est rejoint par le Flight Lieutnant Richard C.M. Collard, officier de carrière, qui est chargé des fonctions d’Adjudant et d’instructeur de vol. Né le 25 août 1911, il rejoint la RAF et sert notamment au sein du No.4 (RAF) Squadron, où il est qualifié aux fonctions d’instructeur. Il est à noter qu’il représente à plusieurs reprises la RAF en Rugby à XIII.

Le No.615 (County of Surrey) Squadron est initialement chargé de mission de coopération avec les troupes territoriales locales et reçoit une collection de biplans Hawker Hart, Audax et Hector. On dispose malheureusement de peu d’informations sur cette courte période de l’avant-guerre, ainsi que sur la sélection et l’affectation progressive des pilotes. Toutefois, en septembre 1938, l’escadron est conduit à changer de rôle pour devenir une unité de chasse avec des Gloster Gauntlet, remplacé peu après (mai 1939) par des Gloster Gladiator Mk II. Dans le même temps, un évènement important a lieu lorsqu’un vieux député de la Chambre des communes, alors totalement désavoué depuis la crise de succession Edward VIII et ses critiques répétées contre la politique d’appeasement est nommé Air Commodore honoraire : en l’occurrence un certain Winston Churchill. Une dernière série d’entraînements au sein de la Auxiliary Air Force est organisée au mois d’août 1939, après quoi l’escadron est incorporé au sein de la Royal Air Force pour se préparer à la guerre qui éclate suite à l’invasion de la Pologne par l’Allemagne.

Un état de service donne, alors, la liste des pilotes suivants :

  • Squadron Leader : Arthur V. Harvey;
  • Officier d’équipement : Fligh Lieutnant K.P. Dampier ;
  • Officier médical : Flying Officer Robert S. Cromie ;
  • Officier administratif : Flight Lieutnant G.A.B. Cooper, Flying Officer Walter O. Sternet Pilot Officer Francis G. Bowling
  • À Flight : Flight Lieutnant Leslie T.W. Thornley, Peter Collardet John R.H. Gayner, Pilot Officer Anthony Eyre, Thomas C. Jackson, David J. Looker, Anthony St.C. Rose ;
  • B Flight : Flying Officer Peter N. Murton-Nealeet Eric C. Fieldsend, Pilot Officer Bernard J.R. Brady, Levin Fredman, John C.M. Hanbury, Patrick G.M. Hancock, Keith T. Lofts et John R. Lloyd.

Parmi ces différents pilotes, on retrouve une certaine conformité avec les caractéristiques de la AAF. Ainsi, John C.M. Hanbury travaille dans le milieu des affaires, plus précisément en codirigeant de la brasserie Truman, Hanbury, Buxton & Co, tandis que sa famille possède la somptueuse résidence de Hylands Park (près de Chelmsford dans l’Essex). De son côté, David J. Looker a été éduqué au prestigieux collège d’Eton puis Trinity College de Cambridge, avant de se faire remarquer dans le sport de haut niveau puisqu’il remporte à deux reprises le Championnat mondial de Bobsleigh (1937 et 1938) en équipe à quatre, tout en participant à diverses compétitions de ski. Le père de John R. Lloyd, outre son grade de colonel, appartient à l’aristocratie galloise, tout comme celui de John R.H. Gayner[5]. Il en est de même pour Anthony St.C. Rose[6]. Outre une formation d’avocat (Barrister) dans l’un des prestigieux instituts de formation londoniens, son père est lui-même un des grands ténors du barreau tout en étant titulaire d’une Pairie.

Finalement le portait le plus surprenant est celui de Bernard J.R. Brady qui tranche fortement avec les autres. Né dans un milieu populaire, il quitte l’école dès l’âge de 14 ans pour s’engager comme simple matelot dans la Royal Navy où il aurait servi durant la Première Guerre mondiale (son nom est mentionné en 1916). Il semble suivre, ultérieurement, une formation comme mécanicien sur avion auprès du Royal Naval Air Service, avant à la fin de la guerre de bifurquer vers la toute jeune RAF où il obtient son brevet de pilote. Toujours est-il qu’il crée vers la fin des années 1920 / début des années 1930 une entreprise spécialisée dans la location d’avion et les cours de pilotage, en l’occurrence la Aircraft Exchange and Mart Ltd située dans le London Air Park[7]. Faisant désormais partie de la classe moyenne aisée, il réussit à contourner les barrières sociales pour intégrer la AAF, malgré son âge approchant de la quarantaine.

Affiche de promotion pour la Aircraft Exchange and Mart Ltd, publié dans la revue Flight (1935)


[1] Auxiliary Air Force : Commissioned Officers Required for New Squadrons. Flight, n°41, Vol. XVII. 8 Octobre 1925, p.663 à 664.

[2] DUNDAS Hugh. Flying Start : A Fighter Pilot’s War Years. Pen & Sword, 2012. 224 p.

[3] DIXON, Robert. 607 Squadron : A Shade of Blue. Wolf’s Nick Publishing, 2012. 200 p.

[4] WILKINSON, Louise. The Territorial Air Force 1925-1957 – Officer Class and Recruitment. Thèse pour l’obtention du Doctorat. Université de Wolverhampton. 2017.

[5] WILKINSON, Louise. The Territorial Air Force 1925-1957 – Officer Class and Recruitment. Thèse pour l’obtention du Doctorat. Université de Wolverhampton. 2017.

[6] Sa tente (Evelyn St. Croix Fleming) n’est autre que la mère du fameux écrivain Ian Fleming.

[7] WILKINSON, Louise. The Territorial Air Force 1925-1957 – Officer Class and Recruitment. Thèse pour l’obtention du Doctorat. Université de Wolverhampton. 2017.