15 Mai 1940
Contrairement aux journées précédentes, l’activité du No.615 Squadron est assez intense et relativement bien détaillée. Elle est aussi l’occasion de plusieurs revendications, mais aussi de nouvelles pertes.
La journée commence par plusieurs patrouilles depuis le terrain de Le Touquet, sans davantage de précisions, selon l’ORB.
Plus tard dans la matinée, six Hawker Hurricane Mk I décollent, sous les ordres du Squadron Leader Joseph R. Kayll, depuis Vitry-en-Artois pour une mission d’escorte sur Dinant en compagnie de six autres appareils du B Flight du No.607 (County of Durham) Squadron. Les douze Bristol Blenheim Mk I (trois du No.15 Squadron et neuf du No.40 Squadron) sont chargés de détruire plusieurs ponts sur la Meuse. L’ensemble de la formation est, cependant, intercepté par plusieurs Bf 109 et Bf 110 vers 11 h. Les pilotes du No.615 Squadron semblent avoir été surpris puisque le Flying Officer Hedley N. Fowler (Hawker Hurricane Mk I P2622), à l’arrière de la formation, peut seulement hurler un avertissement avant d’être touché par les tirs des Bf 109. Son appareil commençant à prendre feu, il est contraint de sauter en parachute. Il réussit à rejoindre plusieurs soldats français, mais ils sont tous capturés le lendemain[1]. La victoire pourrait avoir été revendiquée par l’Oberleutnant Franz Eckerle (3./JG 76)[2]. Selon une lettre ultérieure du Flying Officer Hedley N. Fowler :
« Nous escortons plusieurs bombardiers et j’occupe la position de Back-end-Charlie, c’est-à-dire en arrière pour avertir l’ensemble de la formation en cas d’attaque. Quatre Bf.109 me plonge soudain dessus et je suis touché au réservoir en essayant de poursuivre l’un d’entre eux. La situation est très inconfortable et je dois prendre rapidement une décision. Mon parachute s’accroche à la verrière, mais je peux rapidement le décrocher. Je remarque aussi beaucoup de sang sur ma combinaison et je commence à m’inquiéter très sérieusement. Heureusement, j’ai juste pris quelques bouts de métal dans le cuir chevelu et dans mon bras droit. Je me pose, en parachute, dans la forêt des Ardennes. Je décide de marcher vers l’ouest, en m’orientant grâce au soleil. Tout est désert : je croise de temps à autre des tranchées abandonnées ou des carcasses de blindés. Soudain des tirs au-dessus de ma tête : il s’agit d’un groupe de soldats français du génie qui m’ont confondu avec un allemand en raison de ma combinaison de vol grise. Je décide de rester avec eux pour regagner nos lignes. Toute la contrée est vide et parsemée de destruction. Je repère, dans un champ, un cheval de trait blanc sur lequel je grimpe afin d’épargner ma jambe droite qui me fait souffrir. Nous faisant une halte durant la nuit, mais nous sommes repérés par des soldats allemands le lendemain. Après avoir vidé nos munitions, nous ne pouvons rien faire d’autre que nous laisser capturer. »[3]
Il fera ultérieurement les gros titres de la presse à la suite de son évasion du château de Colditz le 9 septembre 1942. Déguisé en officiers allemands il réussit à rejoindre la Suisse (en compagnie du lieutenant néerlandais Damiaen Joan van Doorninck). De retour en Angleterre en avril 1944, il reçoit la Military Cross avant d’être posté au Armament Test Squadron de Boscombe Down. Il se tue en testant un Hawker Typhoon le 26 mars 1944. Il est inhumé au cimetière de Durrington.
Selon le Squadron Leader Joseph R. Kayll :
« la formation de Hurricane est attaquée simultanément par plusieurs Bf.110 et Bf.109. J’effectue une attaque de face contre un premier Bf.110 qui atterrit peu après, ainsi qu’un tir en déflexion sur un second, lequel est vu tombé et explosé dans un bois »[4].
Les deux revendications ne semblent pas concluantes. Selon Peter Cornwell, cet affrontement pourrait être relié avec celui entre les Bloch MB.152 du GC I/8 et des Bf 110 C de la 2./ZG 26 dont trois appareils sont abattus par les Français[5]. Si on observe la description du combat en question, on ne peut nier des éléments concordants : l’heure (10 h 30 – 12 h 15), ainsi que les lieux (au-dessus de la Meuse, dans les environs de Mézières). En outre, l’Adjudant Michaud indique la présence d’un Hawker Hurricane lors de l’affrontement :
« Il lui lâche une longue rafale, mais à cet instant un Hurricane inattendu passe entre lui et sa cible. Il est obligé d’interrompre son tir et prend du retard sur sa proie qui pique devant lui. Le Messerschmitt a son compte, un membre d’équipage saute, mais le parachute du malheureux se met en torche. Le biplan désemparé percute et explose dans une clairière au nord-est de Renwez »[6].
On ne peut nier plusieurs éléments concordant avec la seconde partie du rapport rédigé par le Squadron Leader Joseph R. Kayll. Il s’agit en l’espèce d’un Bf 110 C de la 2./ZG 26 (Feldwebel Kurt Friedrich et Gefreiter Willi Neuburger, tués) qui s’écrase, vers 11 h 10, à Sécheval. Évidemment, à défaut de détails plus probants, cela reste de la simple hypothèse. Les Allemands enregistrent la perte de deux Bf 109 E-3 du Stab I./JG 52, Hauptman Siegfried von Eschwege et Leutnant Kurt Kirchner (capturé), tandis que trois chasseurs britanniques sont revendiqués par les Hauptmann Werner Molders, Oberleutnant Heinz Wittenberg et Leutnant Georg Claus de la III./JG 53. Du côté du No.607 (RAF) Squadron, le Squadron Leader Lance Smith (P2870) est tué durant le combat, et deux Bf 109 sont revendiqués par les Flying Officer Bill Whitty et Pilot Officer Bob Grassick[7].
L’après-midi est encore assez mouvementé puisque le A Flight est chargé d’une série de trois patrouilles dans les environs de Wavre. Plusieurs Henschel Hs 126 sont rencontrés et une série d’affrontement éclate. Ainsi, une section sous les ordres du Flight Lieutnant Leslie T.W. Thornley effectue une patrouille au nord-ouest de Gembloux à 15 h. Selon le Pilot Officer Thomas C. Jackson :
« Nous apercevons soudain un Hs.126 lorsqu’il ouvre le feu sur nous. Je peux l’aligner et le toucher, probablement en tuant le mitrailleur, puis je le laisse au Flight Commander. Il tombe au sol »[8].
Selon le Flight Lieutnant Leslie T.W. Thornley :
« Avion signalé et le Pilot Officer Jackson attaque d’une assez grande distance. L’ennemi fait un demi-tonneau et plonge. Je le suis dans sa descente jusqu’à cinq cents pieds en tirant sans cesse. L’appareil atterrit dans un champ labouré à 1 500 mètres au nord de Gembloux, mais sans se disloquer »[9].
L’appareil pourrait être appartenir à la 4.(H)/22 (Leutnant H. Ricke blessé)[10].
Les événements semblent se dérouler moins bien pour le Pilot Officer David J. Looker (P2554), qui est touché par des tirs au sol. Au moment de sauter, il heurte le gouvernail avec le bras gauche. Touchant le sol, près de Waterloo, il est récupéré par des soldats britanniques et rapidement renvoyé en Angleterre pour un séjour à l’hôpital (Shenley Military Hospital).
Un autre Hs.123 est rencontré au même moment par une seconde section sous les ordres du Flying Officer Peter Collard vers 15 h :
« L’ennemi volait au ras de la forêt, mon altitude était de 1 500 mètres. Je plonge sur lui et porte une attaque sur le côté. J’essuie une courte rafale du mitrailleur arrière à deux cents mètres. L’ennemi se cabre lorsque je suis à tente mètres juste derrière lui, c’est pourquoi je me trouve en dessous de lui. Ensuite plus aucun signe d’avions (…) Ennemi aperçu sortant du soleil en piqué sur deux Hurricanes en dessous. Je m’approche derrière lui, mais mon viseur me lâche, quand j’ouvre le feu. L’ennemi effectue un violent virage sur l’aile en montée par la droite : attaque interrompue à trois cent cinquante mètres, munitions épuisées »[11].
À noter que ce dernier appareil est erronément identifié comme un Heinkel He.112. Enfin, à 15 h 30, un autre Hs.126, probablement de la 1.(H)/23 (Leutnant Hermann Küster et Felix Hack, tués)[12] est intercepté par une troisième section à l’est de Gembloux vers les 750 mètres.
D’après le Flying Officer Horace E. Horne :
« Le Henschel chancelle, après la première attaque, et atterrit sur le ventre dans un champ. Impossible de mener à bien l’attaque finale en raison des puissants tirs antiaériens. Je tente aussi d’attaquer un ballon attaché au sol, mais le site est truffé de défense antiaérienne. Résultat : machine touchée quatre fois »[13].
En raison de l’évolution des évènements, le No.615 Squadron reçoit l’ordre de quitter Vitry-en-Artois pour rejoindre le nord-ouest de la Belgique. Selon le Flight Lieutnant James G. Sanders :
« Joe Kayll et moi-même devons décoller pour trouver un aérodrome belge d’où le Squadron pourrait opérer. Je prends un Gladiator, tandis qu’il utilise un Hurricane. Il part pour Moorsele, tandis que je rejoins Evere à l’est de Bruxelles. À peine posé, je m’aperçois que le terrain est plein d’allemand, je redécolle immédiatement et rejoins rapidement nos lignes au ras du sol »[14].
Sans surprise, le choix final se fixe sur l’aérodrome de Moorsele.
[1] CULL, Brian ; LANDER, Bruce ; WEISS, Heinrich. Twelve Days in May. The Air Battle for Northern France and the Low Countires, 10 – 21 May 1940, as seen through the eyes of the fighter pilots involved. London : Grub Street, 1999. p.148.
[2] CORNWELL, Peter D. The Battle of France, Then and Now : Six Nations Locked in Aerial Combat, September 1939 to June 1940. Old Harlow : After the Battle, 2007. p.283.
[3] Casualty Record : Flying Officer Hedley N. Fowler The National Archives, Kew : AIR 81/409.
[4] Squadron Leader Joseph R. Kayll, Combat Report. The National Archives, Kew. AIR 50/175/14 ; CULL, Brian ; LANDER, Bruce ; WEISS, Heinrich. Twelve Days in May. The Air Battle for Northern France and the Low Countires, 10 – 21 May 1940, as seen through the eyes of the fighter pilots involved. London : Grub Street, 1999. p.148.
[5] CORNWELL, Peter D. The Battle of France, Then and Now : Six Nations Locked in Aerial Combat, September 1939 to June 1940. Old Harlow : After the Battle, 2007. p.290.
[6] JOANNE, Serge. Le Bloch MB-152. Les éditions Lela Presse, 2003. p.225 à 226.
[7] DIXON, Robert. 607 Squadron : A Shade of Blue. 2012.
[8] CULL, Brian ; LANDER, Bruce ; WEISS, Heinrich. Twelve Days in May. The Air Battle for Northern France and the Low Countires, 10 – 21 May 1940, as seen through the eyes of the fighter pilots involved. London : Grub Street, 1999. p.150.
[9] Flight Lieutnant Leslie T.W. Thornley, Combat Report, The National Archives, Kew. AIR 50/175/31 ; CULL, Brian ; LANDER, Bruce ; WEISS, Heinrich. Twelve Days in May. The Air Battle for Northern France and the Low Countires, 10 – 21 May 1940, as seen through the eyes of the fighter pilots involved. London : Grub Street, 1999. p.150 ; GILLET, Arnaud. La Luftwaffe à l’ouest — Les victoires de l’aviation de chasse britannique (10 mai 1940 – 23 mai 1940). Béthenville : Arnaud Gillet, 2008. p.206.
[10] CORNWELL, Peter D. The Battle of France, Then and Now : Six Nations Locked in Aerial Combat, September 1939 to June 1940. Old Harlow : After the Battle, 2007. p.288.
[11] Peter Collard, Combat Report. The National Archives, Kew. AIR 50/175/3 (curieusement, le Flying Officer Peter Collard est identifié sous le nom de P.Collins) ; CULL, Brian ; LANDER, Bruce ; WEISS, Heinrich. Twelve Days in May. The Air Battle for Northern France and the Low Countires, 10 – 21 May 1940, as seen through the eyes of the fighter pilots involved. London : Grub Street, 1999. p.150 ; GILLET, Arnaud. La Luftwaffe à l’ouest — Les victoires de l’aviation de chasse britannique (10 mai 1940 – 23 mai 1940). Béthenville : Arnaud Gillet, 2008. p.206 et 207.
[12] CORNWELL, Peter D. The Battle of France, Then and Now : Six Nations Locked in Aerial Combat, September 1939 to June 1940. Old Harlow : After the Battle, 2007. p.288.
[13] Flying Officer Horace E. Horne, Combat Report, The National Archives, Kew. AIR 50/175/12 ; CULL, Brian ; LANDER, Bruce ; WEISS, Heinrich. Twelve Days in May. The Air Battle for Northern France and the Low Countires, 10 – 21 May 1940, as seen through the eyes of the fighter pilots involved. London : Grub Street, 1999. p.150 ; GILLET, Arnaud. La Luftwaffe à l’ouest — Les victoires de l’aviation de chasse britannique (10 mai 1940 – 23 mai 1940). Béthenville : Arnaud Gillet, 2008. p.206.
[14] CULL, Brian ; LANDER, Bruce ; WEISS, Heinrich. Twelve Days in May. The Air Battle for Northern France and the Low Countires, 10 – 21 May 1940, as seen through the eyes of the fighter pilots involved. London : Grub Street, 1999. p.151.