La Campagne de Namibie
Opérations Aériennes sous le Soleil de l'Afrique Australe (1914 - 1915)
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La campagne de Namibie[1] est un événement militaire négligeable dans l’histoire de la Première Guerre mondiale par son impact sur la situation générale. Il s’agit d’une campagne courte (septembre 1914 à juillet 1915), dont en réalité les opérations proprement dites commencent en mars 1915, et sont quasiment terminées dès le mois de mai. Sauf deux ou trois épisodes, les combats sont très limités et s’apparentent davantage à une course poursuite entre troupes montées sud-africaines et allemandes. Le bilan humain est des plus réduits : en tout, un peu plus de quatre cents morts en additionnant les différentes causes de décès. Une campagne dont finalement la presse de l’époque parle peu et que la littérature actuelle survol rapidement, préférant se consacrer aux combats en Afrique de l’Est et au général Paul von Lettow-Vorbeck. Pourtant elle présente des aspects forts intéressants à étudier. C’est, en effet, le seul cas en Afrique où l’aviation est présente et active du côté des deux belligérants. Elle illustre aussi les relations dynamiques internes à l’Empire britannique avec des objectifs radicalement différents entre le Royaume-Uni et son jeune dominion sud-africain. Elle est, pour partie, dictée par des raisons politiques propres à l’Afrique du Sud, dont la conquête du territoire namibien est jugée essentielle. En effet, la réussite de cet objectif est censée impacter le destin futur du pays et plus globalement de l’ensemble de l’Afrique australe.
I) Les origines de la campagne de Namibie
A) L’objectif britannique : renforcer l’isolement de l’Allemagne et neutraliser sa flotte
Si l’Afrique australe a pu constituer un lieu de tension entre l’Empire britannique et la nouvelle vocation coloniale allemande durant la décennie 1890, la situation s’est partiellement réglée à la suite de l’accord secret mettant fin à tout soutien allemand aux Républiques boers et à la déclaration du sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères, le baron Oswald von Richthofen, « nous laissons l’Afrique du Sud à l’Angleterre ». L’idée d’une expansion coloniale par la capture de la Namibie n’est, dès lors, plus une priorité au moment du déclenchement de la Première Guerre mondiale. En réalité l’objectif, pour les Britanniques, est relativement limité puisqu’il s’agit de renforcer le blocus de l’Allemagne. En effet, conscients de la vulnérabilité du câble télégraphique sous-marin pour les communications extérieures, les autorités allemandes ont cherché une solution alternative. En l’occurrence, plusieurs transmetteurs radio Telefunken ont été construits dans les colonies africaines, dont trois en Namibie (Swakopmund, Lüderitz et Windhoek), afin de permettre une communication avec la marine de guerre. Cette situation, censé menacer la supériorité navale britannique doit donc être traitée le plus rapidement. Dans le but d’économiser des ressources pour un objectif modeste, le gouvernement britannique demande à l’Afrique du Sud, le 6 août 1914, « un grand et urgent service à l’Empire », en saisissant les deux ports de Swakopmund et Lüderitz et en détruisant la station radio de Windhoek. La requête est acceptée, dès le 10 août, par le Premier ministre Louis Botha. Elle entre parfaitement en accord avec ses objectifs politiques.
Vue aérienne de l’antenne radio Telefunken à Aus. Cette dernière a été démontée puis réassemblée depuis Swakopmund au déclanchement des hostilités. Source : Scientific Society Swakopmund (Incorporated Association not for Gain)
B) La conquête de la Namibie, une opportunité politique pour les dirigeants sud-africains.
La demande impériale trouve, immédiatement, un soutien chez une partie des dirigeants sud-africains pour plusieurs raisons d’ordre externes, internes et plus personnelles. Sur le plan externe il s’agit, douze ans seulement après la seconde guerre des Boers, de prouver la fidélité de l’Afrique du Sud, ainsi que celle des Afrikaners modérés, afin de justifier l’octroi d’une plus grande autonomie. Pour ce faire, il convient de montrer que le jeune Dominon[2] participe activement à la défense de l’Empire. Mais, c’est surtout sur le plan interne que la question namibienne surgit. En effet, le Premier ministre Louis Botha et son adjoint Jan Smuts sont partisans d’une certaine vision messianique afrikaner. Expliquée d’une façon très simplifiée, cette théorie veut que le peuple blanc des Africains, élu par Dieu, doive éclairer à terme les différents peuples noirs africains d’un continent libéré des Empires coloniaux. Pour aboutir à cette vision, il convient d’une part de fusionner les communautés blanches d’origine afrikaner et anglo-saxonne en une seule population, ce qu’une aventure militaire commune peut favoriser. D’autre part, la conquête de la Namibie constitue un premier pas vers l’idée de la Grande Afrique du Sud qui contiendrait l’ensemble des territoires situés sous le fleuve Zambèze, ainsi que le port portugais de Maputo (Mozambique). Enfin, on ne peut nier des raisons d’ordre plus personnelles. Tout d’abord, l’évolution de la politique extérieure allemande vis-à-vis de l’Afrique australe, malgré le télégramme Kruger, qui a été interprété comme une véritable trahison par les principaux responsables boers dont désormais une partie est à la tête du pays. Enfin, la lourde répression, quasi génocidaire, des populations Héréros et Namas entre 1904 et 1907 a créé un certain mépris pour l’œuvre coloniale allemande en Namibie[3].
L’ensemble de ces raisons décide le Premier ministre Louis Botha à conduire rapidement son pays vers une intervention en Namibie. Toutefois, contrairement, aux Britanniques, l’objectif n’est pas une simple neutralisation des ports et antennes de communication, mais une conquête pure et simple du territoire afin de l’incorporer au sein de l’Afrique du Sud. L’idée se heurte, cependant, à deux difficultés majeures : la lourde déficience de l’appareil militaire, et l’opposition frontale des nationalistes afrikaners.
II) Dispositifs aériens des belligérants
A) Le South African Aviation Corps, une structure ancienne… sur le papier
Selon la légende deux jeunes frères : John Goodman et Archer Household auraient construit un planeur dans la ferme de leurs parents vers 1875. S’élançant depuis les pentes de la colline du Karkloof (Natal), John Goodman Household aurait réussi, après plusieurs tentatives, à accomplir une grande première historique. S’étant fracturé la jambe lors d’un atterrissage un peu rude, sa mère prise de panique lui aurait fait promettre de stopper toutes ses folies contraires à la volonté de Dieu, celui-ci n’ayant pas doté l’Être humain d’ailes comme les oiseaux. Le planeur aurait, alors, été entreposé dans une grange et disparu lors d’un incendie. Comme l’ont montré des recherches historiques, il n’existe aucune preuve matérielle d’un tel évènement qui ne repose que sur un article publié dans les années 1950 et qui s’apparente davantage à un mythe[4].
Plus sérieusement, l’idée du développement d’une composante aérienne au sein des troupes sud-africaines trouve son origine en 1912 à la suite du voyage effectué par le Brigadier-General Christian F. Beyers en Europe[5]. Durant cette tournée, il a notamment l’occasion de bénéficier d’un vol à bord d’un Rumpler-Taube allemand, d’assister aux manœuvres militaires françaises et d’observer la General Flying School d’Upavon. Son rapport fait une large place à l’aviation. Il reconnaît n’avoir « aucun doute sur le fait que l’aviation est destinée à jouer un rôle important dans les futures guerres. (…) L’aviateur est capable de fournir des informations détaillées sur les mouvements de troupes, en permettant d’économiser les hommes et les chevaux[6] ». La conclusion est dithyrambique : « je suis fermement convaincu que l’aérien est destinée à jouer un rôle très important dans les opérations futures, et qu’il est impossible pour notre pays de bâtir un système de défense complet sans prendre en compte cette nouvelle arme de la science militaire ». Il note, toutefois, qu’il convient de déterminer si l’aviation est en mesure d’être employée dans les conditions spécifiques de l’Afrique du Sud. Il préconise, dès lors, une expérimentation rapide et décision au sein de la Active Citizen Force avec une structure dont l’objectif initial est de former un premier groupe de pilotes afin d’en tester le potentiel. L’ensemble est officialisé par une notice dans la Government Gazette, en date du 13 mai 1913, qui annonce la création du South African Aviation Corps (SAAC). En l’espèce, la formation doit commencer durant la seconde partie de l’année 1913, pour une durée de dix à quatorze semaines, au sein une école de pilotage créée à Kimberley. Les candidats doivent avoir moins de trente-cinq ans, une bonne vision sans lunette, disposer d’un bon niveau d’éducation et de connaissance en mécanique. Sans entrer dans les détails de cette première étape de formation, six d’entre eux (sur les dix de la sélection initiale) se voient attribuer, le 22 avril 1914, le grade de Probationary Lieutnant au sein du South African Aviation Corps. Il s’agit, en l’occurrence, de Gordon S. Creed, Edwin C. Emmett, Basil H. Turner, Kenneth R. van der Spuy, Gerald P. Wallace et Marthinus S. Williams[7]. Faute de moyens adéquats, la seconde partie de l’écolage doit avoir lieu, au Royaume-Uni, auprès de la Central Flying School d’Upavon selon les critères propres au Royal Flying Corps. Les cinq élèves restants obtiennent le certificat de vol du Royal Aero Club durant le mois de juin 1914. Le déclenchement de la Première Guerre mondiale stoppe, cependant, le programme. Faute de savoir quoi faire de cette structure aérienne, le Gouvernement sud-africain décide d’autoriser les cinq pilotes à s’engager au sein du Royal Flying Corps, tandis que le SAAC est provisoirement placé au repos.
Le Captain Kenneth R. van der Spuy. Né en 1892, il fait partie du contingent originel du South African Aviation Corps et obtient son certificat de vol du Royal Aero Club le 2 juin 1914 (n°803). Après la Campagne de Namibie, il participe aux opérations en Afrique orientale, puis auprès du RFC à la défense aérienne des îles britanniques avant de participer à l’expédition britannique en soutien des Russes blancs à Arkhangelsk. Il est, cependant, capturé le 26 avril 1919 à la suite d’une panne moteur. Après plusieurs mois, alternant hôtels, prisons et hôpitaux, il est libéré et rentre en Afrique du Sud où il contribue à la création de la SAAF. Il prend sa retraite, en 1946, et joue un rôle important dans la préservation de l’histoire aéronautique sud-africaine. Il décède le 26 mai 1991 dans son domaine de Stellenbosch à l’âge de 99 ans. Source : SAAF Museum
B) Le développement de l’aviation en Namibie, une expérimentation tardive
Les prémices peuvent être trouvées en 1905, lorsque le département colonial allemand reçoit une proposition afin de tester un ballon dirigeable en Namibie. Malgré les demandes répétées du Major Joachim von Heydebreck (commandant de la Schutztruppe en Namibie), l’idée reste sur le papier en raison de doutes sérieux sur la capacité à utiliser de tels engins sous les conditions climatiques locales et en raison de l’éloignement de la métropole. Il est vrai que les contraintes budgétaires bloquent toute expérimentation, et seules les rares initiatives privées vont permettre de réellement lancer le mouvement. Dans le même temps, un club local pour la promotion de l’aviation est fondé, en 1912, à Keetmanshoop avec une expansion très rapide dans l’ensemble de la colonie. Une première évolution a lieu, en 1913, lorsque le Département colonial effectue un véritable revirement en préconisant une expérimentation de l’aviation dans les colonies afin de suivre les exemples britanniques, français et italien. Là encore, le projet demeure sur le papier en raison d’une hostilité forte du Trésor public. L’argument est imparable : il convient d’abord de prouver la bonne utilisation de l’avion dans les conditions spécifiques des colonies avant toute autorisation de financement. Ce premier essai peut avoir lieu, entre mai et juillet 1914, lors de l’arrivée du pilote Bruno Büchner et de son Pfalz Doppelfatz dans le cadre d’une série de présentations aérienne à travers l’Empire colonial allemand. Cette nouvelle étape, combinée à une souscription nationale sous l’impulsion du Prince Henri de Prusse, permet l’attribution d’une enveloppe de 30 000 reichsmarks, au Gouverneur Dr. Theodor Seitz, afin de financer l’achat de deux avions pour conduire une expérimentation d’une durée de trois mois en Namibie. Le premier contingent arrive, le 5 mai 1914, sous les ordres du Leutnant Alexander von Scheele. Il est accompagné d’un pilote civil Willy Trück et de quatre mécaniciens. L’avion, un biplan Aviatik P-14 (moteur Argus 100 hp) débarque, lui, le 19 mai.
L’Aviatik B.I type P-14 sur le terrain de Karibib, en 1914, avec Willy Trück (à côté de l’hélice). Né le 16 septembre 1888 à Paderborn, il obtient son certificat de vol (No.658) le 19 février 1914 et rejoint le fabricant Aviatik comme pilote d’essai. Il est envoyé quasi immédiatement pour superviser les tests en Namibie. Après la guerre, il reste en Namibie, puis s’installe ultérieurement en Afrique du Sud comme agriculteur. Il décède le 22 mai 1981, dans la ville du Cap, à l’âge de 92 ans. On note aussi la présence du Leutnant Alexander von Scheele dans le cockpit. L’appareil est signalé comme étant préparé pour un vol au-dessus de Haalenberg (à l’est du port de Lüderitz). Source : Scientific Society Swakopmund (Incorporated Association not for Gain).
Un second appareil, un biplan LFG Roland Pfeil, est livré le 7 juin avec pour pilote l’Autrichien Paul Fiedler. Divers vols ont lieu durant l’été, lesquelles confirment tout le potentiel de l’aviation sur un territoire aussi vaste que la Namibie. Le Leutnant Alexander von Scheele note, toutefois, que les performances de l’Aviatik sont médiocres et le moteur complètement daté, tandis que le refus du Roland Pfeil par l’armée allemande, en raison de son taux de montée exécrable, rend l’appareil difficilement utilisable dans les conditions locales. Paul Fiedler subit, notamment, un premier accident le 24 juillet lorsque le Roland décroche au décollage à Keetmanshoop. L’appareil est fortement endommagé.
Le LFG Roland Pfeilflieger avec le Leutnant der Reserve Paul Fiedler (au centre) sur le terrain de Keetmanshoop en juin 1914. D’origine autrichienne, il intègre l’armée autrichienne en octobre 1903 au sein de l’artillerie jusqu’en janvier 1909. De retour à la vie civile, comme enseignant, il fait partie des pionniers locaux de l’aviation puisqu’il obtient le certificat de vol n°19 (décembre 1910). Il rejoint, par la suite, le constructeur Luft-Fahrzeug-Gesellschaft (LFG) et est chargé de conduire les tests en Namibie où il débarque le 23 juillet 1914. Après la guerre, il reste quelques années en Namibie (sa ville natale étant devenu Tchécoslovaque) avant de rentrer en Autriche en 1926. Il décède probablement en 1955. Source : Scientific Society Swakopmund (Incorporated Association not for Gain).
Au moment où la guerre éclate, la situation de la Schutztuppe en Nambie n’est pas idéale. Son effectif est particulièrement faible : 2 000 hommes (augmentés à 4 800 après mobilisation) répartis en neuf compagnies d’infanterie montée, cinq batteries d’artillerie (dont une incomplète) et deux détachements de train blindé. Cette troupe, sous les ordres de l’Oberstleutnant Joachim von Heydebreck[8] puis du Major Victor Frank, a une mission essentielle : préserver la colonie en attendant la victoire en Europe. Il convient, donc, d’éviter toute confrontation frontale en cas d’invasion. Il s’agit de mener uniquement une série d’attaques pour retarder une possible avance adverse, ainsi que d’effectuer des assauts rapides lorsque la situation le permet. À cet effet, l’utilisation de l’aviation paraît idéale en fournissant un moyen d’observation à longue portée. Les moyens aériens sont répartis en deux détachements. Le premier, sous les ordres du Leutnant Alexander von Scheele, comprend Willy Trück (observateur – mécanicien), les Gefreiter Holzmacher, Nietzsche et Schultz, ainsi que l’Aviatik. Ils sont déployés à Karasburg, le 31 août, afin de commencer une série de patrouille aux abords de la frontière sud. Le second élément, sous le commandement du Leutnant der Reserve Paul Fiedler, avec Otto Meier (observateur – mécanicien), les Gefreiter Klotz et Kirsch, les Reiter der Reserve Dörgeloh et Seidler, ainsi que le Roland après réparation rejoignent aussi Karasburg, le 9 septembre. Afin de renforcer l’efficacité des avions, des bombes sont improvisées à partir d’obus d’artillerie. Deux tubes sont placés de chaque côté des avions où sont glissées les bombes. Lorsque le pilote souhaite en larguer une, il lui suffit de tirer une cordelette qui permet de libérer la bombe, laquelle tombe à travers le tube en direction du sol. Pour renforcer l’équipement, les appareils emportent un sac contenant plusieurs grenades.
III) Le rôle essentiel des avions allemands dans l’échec des plans sud-africains (septembre 1914 – janvier 1915)
Les deux avions allemands, en septembre – octobre 1914, à Karasburg ou Windhoek selon les sources. Le LFG Roland Pfeilflieger est à gauche et l’Aviatik B.I type P-14 est à droite. Source : Scientific Society Swakopmund (Incorporated Association not for Gain).
Le plan sud-africain se base sur deux nécessités : la première d’ordre britannique consiste en l’occupation des ports et destruction des antennes radio allemande ; la seconde propre aux exigences sud-africaines vise à la conquête intégrale du territoire pour dénier tout droit à un retour entre les mains allemandes à la fin du conflit, en vue d’incorporer le territoire. Il est, toutefois, aussi dicté par des impératifs propres à l’Union Defence Force : maintenir une certaine séparation entre les deux structures (Permanent Force et Active Citizen force) afin de ne froisser personne ; la grande inexpérience des officiers supérieurs dont l’expérience se réduit à la guerre anglo-boer par le commandement de commandos ou au mieux de régiments coloniaux britanniques soit bien loin d’un large commandement ; l’insuffisance (voir l’absence) de moyens logistiques. S’y ajoutent aussi des contraintes propres au territoire partiellement désertique. Finalement, la stratégie repose sur l’idée de séparer l’ensemble en plusieurs forces, déployées en divers endroits du territoire namibien, et menant chacune une offensive indépendante. Trois forces sont, alors, crées : la Force C (Colonel P.S. Beves), avec 1 200 hommes et six pièces d’artillerie, destinée à débarquer dans le port de Lüderitz afin d’en saisir le contrôle dans l’attente de mieux[9]. La Force A (Brigadier-General Henry T. Lukin), avec 1 800 hommes et huit pièces d’artillerie, basée à Port Nolloth, près de la frontière sud avec la Namibie ; et la Force B (Lieutnant-Colonel Manie Maritz), avec 1 000 hommes, à Upington (face à la frontière sud-est de la Namibie). L’objectif vise à faire traverser la frontière par la Force A en direction de Keetmanshoop, avec l’appui de la Force B depuis l’est. La capture de cette ville doit permettre l’accès au chemin de fer pour continuer en direction de la capitale Windhoek.
Cette stratégie n’échappe pas aux Allemands puisque le Leutnant Alexander von Scheele effectue un premier vol, à bord de l’Aviatik, le 23 septembre depuis une piste aménagée à Kalkfontein en direction du secteur Driehoek — Haib – Uhabis (frontière sud). Malheureusement l’appareil est fortement endommagé à l’atterrissage, probablement en raison d’un manque de visibilité à la tombée de la nuit. L’observateur Willi Trück est blessé dans l’accident. L’Aviatik est, rapidement, transporté jusqu’à Keetmanshoop (grâce à un attelage de bœufs) pour reconstruire une nouvelle hélice et aile. Il est en mesure de reprendre les vols début novembre 1914. Il est vrai que l’échec sud-africain lors de la bataille de Sandfontein (26 septembre 1914) et le déclenchement de la rébellion d’une partie des nationalistes boers[10] (septembre – décembre 1914) figent les opérations. De son côté, le Leutnant Paul Fiedler décide d’utiliser son appareil photographique pour effectuer durant le mois d’octobre une série de reconnaissances photographiques le long de la frontière, voir même en pénétrant en territoire sud-africain. Ainsi, le 26 octobre, il prend plusieurs photos du principal camp adverse à Steinkopf.
Dans le même temps, le centre d’attraction des opérations militaires se déplace sur la côte avec l’occupation du port namibien de Lüderitz par la Force C, et le bombardement de Swakopmund par des navires britanniques[11], tandis que le Hauptmann Schultetus mène un raid contre le port de Walwis Bay (une enclave britannique au centre de la côte namibienne) afin de confisquer les armes et saboter les quais. Il n’est, donc, guère surprenant que sitôt l’Aviatik réparé, le Leutnant Alexander von Scheele soit envoyé avec son détachement à Aus, le 6 novembre.
L’Aviatik B.I type P-14 à Kuibis (près de Aus) avec le Leutnant Alexander von Scheele et le personnel au sol. Lors de l’entrée en guerre, le détachement est composé notamment des personnes suivantes : Leutnant Alexander von Scheele (pilote), Willy Trück (observateur – mécanicien), ainsi que les Gefreiter Holzmacher, Nietzsche et Schultz. Source : Scientific Society Swakopmund (Incorporated Association not for Gain).
Il est chargé d’effectuer une série de vols de reconnaissance au-dessus de Ludernitz et Tschaukaib (70 km à l’est du port, principal camp sud-africain), soit environ trois heures de vol. Les bombes sont employées pour la première fois le 29 novembre. Il décolle à cette occasion pour observer les mouvements de navires dans le port de Lüdernitz, ainsi que pour lâcher des tracts de propagande invitant les soldats sud-africains à rejoindre la rébellion boer. Subissant quelques tirs venant du sol, il décide de répondre en lançant deux bombes, qui sans faire de dégâts causent un léger émoi.
Il est rejoint, le 6 décembre par Paul Fiedler et son Roland. Le 17 décembre, il décolle de Aus à l’aube pour prendre la direction de Tschaukaib afin de bombarder une batterie d’artillerie. Si la première bombe rate sa cible, la seconde détruit un canon, de la 12th Battery Citizens Force et blesse mortellement l’un des servants (Corporal H.T. Keeping), ainsi que quatre autres plus légèrement.
Photographie aérienne du camp militaire sud-africain à Tschaukaib, prise le 17 décembre 1914 par le Leutnant der Reserve Paul Fiedler à bord du LFG Roland Pfeil. On note une série de détails intéressants sur ce cliché : en bas les effets des deux bombes larguées sur un ensemble de tentes et tranchés. En haut à droit, on note la fumée provenant du tir de l’artillerie sud-africaine. À gauche, on remarque la voie ferrée et la gare. Source : Scientific Society Swakopmund (Incorporated Association not for Gain).
Une attaque similaire a lieu trois jours plus tard, puis à plusieurs reprises durant le mois de janvier 1915. Si les résultats sont difficiles à déterminer, les archives sud-africaines font état d’au moins trois soldats tués et dix-neuf autres blessés du seul fait aérien. La gêne est, cependant, certaine puisqu’un canon BLC 15 pounder est prélevé et transformé à l’arsenal du Cap afin d’être employé pour la défense antiaérienne. La pièce d’artillerie, baptisée Skinny Liz, placée sous les ordres du Lieutnant E.H. Tomplin est en mesure de tirer jusqu’à un angle de 60 degrés. Déployé dans un premier temps à Walvis Bay, il est délicat d’en apprécier l’impact, et il sera davantage utilisé pour appuyer les troupes au sol[12]. Deux autres canons, l’un de 4 inch et l’autre de 4,7 inch seront aussi employés dans le même objectif, mais là encore sans résultats concrets.
Le canon anti-aérienne Skinny Liz, un BLC 15 pounder modifié notamment pour tirer jusqu’à un angle de 60°, sous les ordres du Lieutnant E.H. Tomplin et déployé à à Tschaukaib début 1915. Source : SAAF Museum.
La situation change brusquement en Namibie à la suite de l’arrivée du Premier ministre sud-africain, le Général Louis Botha début février 1915. Après, une longue préparation logistique, il lance son offensive depuis Swakopmund en direction de la capitale Windhoek, à travers la vallée de la rivière Swakop jugée préférable pour assurer l’alimentation des chevaux. En parallèle, des attaques plus limitées sont lancées depuis le sud et l’est à travers la traversée du désert Kalahari, afin d’empêcher les Allemands de regrouper leurs faibles forces. Les évènements de fin février — début mars 1915 tournent rapidement à l’avantage des Sud-Africains notamment lors des affrontements de Pforte, Riet et Jakalswater : une série de collines fortifiées à l’est de Swakopmund dont la capture (le 20 mars) permet de priver l’adversaire d’une part importante de son artillerie, ainsi que divers documents décrivant le dispositif allemand. Désormais la campagne de Namibie se résumera à une lente poursuite par les Sud-Africains, en fonction des impératifs d’une logistique inexistante, et un retrait progressif des Allemands vers des positions arrière, afin d’éviter l’affrontement. Dans le même temps, la situation des deux avions allemands devient de plus en plus précaire, l’Aviatik du Leutnant Alexander von Scheel multiplie les problèmes techniques.
Ainsi, le 19 janvier 1915, après une reconnaissance du camp militaire d’Arandis, il est contraint à un atterrissage forcé en raison d’un problème de radiateur, qui s’avère sérieux puisqu’il nécessite un changement des pistons du moteur, soit des pièces non disponibles. Après une réparation de fortune, il est de retour à Karibib le 23 février pour être de nouveau indisponible à la suite du même souci. Les mécaniciens réussissent encore un exploit de mécanique, mais dès le 25 mars Willy Trück (sorti de l’hôpital après son accident du 23 septembre) doit écourter son vol après seulement douze minutes. Cette fois-ci, c’est le bloc-cylindres qui est touché. Il faut finalement attendre le 8 avril pour voir le désormais Oberleutnant Alexander von Scheel effectuer une reconnaissance de la voie de chemin de fer de Swakpomund et un bombardement sur les troupes adverses à Arandis. Dans le même temps, le Leutnant der Reserve Paul Fiedler a continué ses opérations à bord du Roland, sur le front sud, en larguant régulièrement quelques bombes sur les camps militaires d’Aus et Garub, entre janvier et mars 1915. Ainsi, le 27 de ce dernier mois, plusieurs bombes tombent au niveau de l’enclos, contenant environ 1 700 chevaux, créant une véritable panique chez les animaux dont une partie s’échappe, causant encore un retard dans l’offensive sud-africaine. Il s’agit de la fin de sa présence sur le front sud qui s’écroule progressivement fin mars avec la capture d’Aus, abandonnée par les troupes allemandes. Fiedler est rappelé sur le front nord (Karibib) pour rejoindre Von Scheel. Cette nouvelle réorganisation permet, le 15 avril, aux deux avions d’opérer pour la première et unique occasion ensemble pour une attaque sur Arandis, malgré une réaction assez violente de la part des troupes adverses qui ouvrent le feu avec leurs armes légères. C’est aussi le début de la fin. Le 17, le Leutnant der Reserve Paul Fiedler décroche au décollage à Karibib et le LFG Roland Pfeil percute violemment le sol. Si le pilote souffre d’une fracture au crâne, l’appareil est irrémédiablement endommagé malgré plusieurs tentatives de réparation.
Le LFG Roland Pfeilflieger à Keetmanshoop avec le Leutnant der Reserve Paul Fiedler et le Leutnant Alexander von Scheele. Ce dernier, né le 19 mars 1894 à Berlin est un officier de carrière. Il obtient son certificat de vol (n°169) à la Albatros Werke de Johannisthal le 14 mars 1912. Il est envoyé en Namibie, le 5 mai 1914. Après la guerre, il émigre quelques années en Argentine avant de rentrer en Allemagne pour prendre part au développement de la Luftwaffe, et fait partie du premier détachement de la Légion Condor. Il est tué le 4 août 1939 à bord d’un Ju.52 qui s’écrase en Espagne durant un vol de liaison entre Madrid et Barcelone. Le détachement sur LFG Roland Pfeilflieger est initialement composé des personnes suivantes : Leutnant der Reserve Paul Fielder (pilote), Otto Meier (observateur – mécanicien), les Gefreiter Klotz et Kirsch, ainsi que les Reiter der Reserve Dörgeloh et Seidler. Source : Scientific Society Swakopmund (Incorporated Association not for Gain).
À la suite de l’offensive sud-africaine depuis Swakopmund, le Major Victor Franke décide de lancer une des rares contre-offensives allemandes sur la position de Trekkopje (26 avril) afin de retarder l’avancée des troupes adverses et permettre à ses unités du front sud de se regrouper autour de la capitale Windhoek pour tenter une dernière résistance. Faisant preuve d’une extrême prudence, Franke décide d’utiliser intensément l’Aviatik pour une série de reconnaissances afin de déterminer l’effectif adverse.
Si les rapports rassurent le commandement allemand, ils illustrent aussi la limite des moyens aériens disponibles. Ainsi, Alexander von Scheel n’est pas en mesure de déterminer l’importance de l’artillerie lourde (sous-évaluée) et surtout la présence de douze automitrailleuses Rolls-Roys du Armored Car Division No.1 (RNAS) Squadron (analysées comme des réservoirs d’eau). L’affrontement se termine par un échec limité côté allemand, dont les forces se replient définitivement sur Karibib pour protéger Windhoek. La bataille de Trekkopje constitue un double échec pour Alexander von Scheel. Le 1er mai, il reçoit l’ordre d’aller reconnaître et bombarder le secteur. Il est rapidement soumis à des tirs venant du sol qui endommagent peut-être son moteur. Toujours est-il que ce dernier lâche et le pilote doit faire un atterrissage forcé. L’appareil est rapidement récupéré, mais un problème au niveau des pistons est détecté. À la même date, le Gouverneur Theodor Seitz et le Major Victor Franke décident d’abandonner Windhoek déclarée ville libre pour Grootfontein afin de tenter une dernière résistance dans le nord. L’Oberleutnant Alexander von Scheel suit les déplacements avec son appareil plus ou moins remis en état de vol sur le terrain de Otjisasu. C’est de toute façon la fin et, après une réflexion sur l’idée de continuer une guérilla en franchissant la frontière angolaise (dont le sud du territoire est incontrôlé par les Portugais), le Gouverneur Theodor Seitz décide de demander un armistice aux Sud-Africains, entre le 20 et le 22 mai. L’offre est, cependant, rejetée par le Premier ministre Louis Botha qui exige une capitulation inconditionnelle et une occupation complète du territoire par ses troupes.
Dans l’attente des négociations, l’Oberleutnant Alexander von Scheel reçoit l’ordre de décoller, le 29 mai, afin d’observer les axes d’avancés des troupes sud-africaines. Il décolle de Kalkfeld, mais le moteur manque de puissance et il endommage légèrement l’aile basse gauche en heurtant la végétation. Il tente un atterrissage, mais en perte de vitesse l’appareil heurte le sol. Le pilote souffre d’une fracture au nez et de la jambe droite. L’appareil est, toutefois, récupéré et transporté par rail jusqu’à Tsumeb où Willy Trück essaye toujours de réparer le Roland, ce qu’il réussit à faire à la fin du mois de juin. La documentation ne permet pas de connaitre son activité jusqu’à la capitulation allemande le 4 juillet 1915.
Les deux avions sont, alors, dans un premier temps cachés dans une ferme des environs de Tsumeb. L’Aviatik est finalement coulé dans le lac d’Otjikoto, tandis que le Roland est brûlé durant l’année 1916 afin d’éviter toute récupération par les Sud-Africains. Paul Fiedler et Willy Trück sont libérés peu après la capitulation conformément aux accords[13]. L’Oberleutnant Alexander von Scheel refuse lui de signer l’engagement à ne pas reprendre les armes et est interné jusqu’à la fin de la guerre. Il émigre peu après en Argentine. Il rentre en Allemagne en 1933 puis rejoint la Luftwaffe.
L’Aviatik B.I type P-14 avec Willy Trück à Karibib, probablement durant la fin juillet – début août 1914, pour les premiers vols de test après son arrivée en Namibie. Source: Scientific Society Swakopmund (Incorporated Association not for Gain).
IV) Le retour tardif du South African Aviation Corps
Personnels du South African Aviation Corps. On note l’écusson sur l’épaule. Source : SAAF Museum.
Au moment de l’entrée en guerre, l’idée du corps aérien militaire sud-africain est enterrée. Les résultats du programme sont très nuancés, l’école de pilotage de Kimberley a montré des limites et a été contrainte de fermer faute d’appareils et de moyens financiers. Le petit groupe de pilotes, envoyés en Angleterre pour parfaire la formation, n’est plus puisque ces derniers se sont engagés auprès du Royal Flying Corps. Le gouvernement n’a de toute façon pas les moyens de prolonger l’expérience. Néanmoins, la présence régulière des avions allemands conduits courant novembre 1914, le Premier ministre Louis Botha à envisager d’une part le développement de moyens antiaérien et d’autre part la réactivation du South Africa Aviation Corps. À cet effet, le Captain Gerard P. Wallace reçoit l’ordre de reprendre son service auprès de l’Afrique du Sud, de rassembler le premier contingent composé des Lieutnant Gordon S. Creed, Edwin C. Emmett, Basil H. Turner et Kenneth R. van der Spuy, puis de recruter des mécaniciens et enfin de prospecter l’achat d’appareil pour un déploiement rapide en Namibie (près de Walvis Bay).
Le Captain Gerard P. Wallace. Après la campagne de Namibie, il prend le commandement du No.26 (South African) Squadron RFC en Afrique de l’Est. Titulaire de la DSO en 1917, il décède d’une crise cardiaque en 1948. Source : SAAF Museum.
Une première solution surgit à la suite de la conquête du Cameroun et la capture de deux avions allemands encore en cours de montage (un Rumpler et un Jeannin Taube). L’offre de récupérer les deux appareils est immédiatement acceptée par Louis Botha et ils sont livrés à Pretoria en février 1915. Ils ne seront cependant jamais remontés et disparaitront des inventaires ultérieurement. Dans le même temps à Londres, le Captain Gerard P. Wallace connait de très sérieuses difficultés pour convaincre les services britanniques de fournir les appareils nécessaires aux opérations en Namibie, lesquelles sont désormais considérées comme une affaire strictement sud-africaine, la demande impériale (destruction des antennes radio et occupation des ports) étant remplie. Finalement, les Sud-Africains décident de se tourner vers les constructeurs privés et le choix est finalement porté sur l’achat de six Henry Farman HF.27 dont la construction métallique est jugée idéale pour le climat hostile de Walwis Bay. S’ajoutent deux Royal Aircraft Factory B.E.2c offerts par l’Amirauté, ainsi que la mise à disposition de trois pilotes Flight Lieutnant John M.R. Cripps, Flight Sub-Lieutnant Thomas Hinshelwood et Wood[14], ainsi que de trente-quatre membres pour le personnel au sol. Dans le même temps, les Lieutnant Edwin C. Emmett[15] et Basil H. Turner sont chargés de préparer un aérodrome à Walwis Bay grâce au concours de l’ingénieur John Weston[16].
Henry Farman HF.27 sur l’aérodrome de Karibib. Source: SAAF Museum.
Les appareils sont embarqués, le 3 avril 1915, à Southampton à bord du Umvoti en direction de Walvis Bay. Le choix du navire s’avère problématique puisqu’en raison de sa taille réduite les caisses doivent être stockées sur le pont, à l’air libre. Cette décision va s’avérer catastrophique. Ainsi, le navire est rapidement pris dans une tempête et plusieurs caisses sont endommagées sous le coup des vagues. Plus globalement, lors de l’arrivée 27 jours plus tard, une partie des pièces sont endommagées ou fortement corrodées. Trois des Henry Farman HF.27 demandent, ainsi, de très lourds travaux de réparation. Finalement, les deux BE2c ne sont réassemblés respectivement que les 4 et 5 mai, les premiers vols d’essai ayant lieu le 7 mai. À cette date, le Captain Gerard P. Wallace est chargé de rejoindre Karibib (capturée la veille par les troupes du Premier ministre Louis Botha) avec le A Flight composé des Captain Basil H. Turner et Flight Lieutnant John M.R. Cripps (pilotes), des Lieutnant William W.C. Cary-Thomas et John Clisdal (observateurs). Les avions doivent rester à Walvis Bay dans l’attente des Henry Farman. Il est vrai que la dotation est rapidement réduite lorsque le Captain Basil H. Turner s’écrase aux commandes du premier appareil britannique à Karub, le 9 mai, tandis que le Flight Lieutnant John M. R. Cripps doit se poser en urgence avec le second, près de Swakopmund à la suite d’une panne moteur. La carrière des deux appareils s’arrête à cette date. Finalement, il faut attendre le 25 mai pour voir le Lieutnant Kenneth R. van der Spuy arriver avec l’un des Henry Farman F.27. À ce moment, la campagne de Namibie touche à sa fin. La capitale Windhoek a été évacuée, une demande d’armistice déposée et les dernières troupes allemandes retraitent vers la frontière angolaise.
Deux avions Henry Henry Farman HF.27, du South African Aviation Corps, sur le terrain de Karibib. Source : Scientific Society Swakopmund (Incorporated Association not for Gain).
Le lendemain, le Lieutnant Kenneth R. van der Spuy décolle pour la première sortie opérationnelle, en l’occurrence une reconnaissance de la ville d’Omaruru où il signale une vingtaine de soldats allemands préparant l’évacuation. Il est rejoint, le 15 juin par un second Farman (n° 6) piloté par le Flight Lieutnant John M. R. Cripps, ce qui permet d’envisager une seconde reconnaissance au-dessus de Omaruru où Kenneth R. Van der Spuy est en mesure de procéder au premier bombardement de l’aviation sud-africaine en larguant deux bombes. La capture de cette dernière ville, deux jours plus tard, permet de découvrir un aérodrome allemand en cours de construction. Les deux pilotes reçoivent, donc, l’ordre de le rejoindre. Le transfert se termine mal pour John M.R. Crips dont l’appareil heurte un arbre lors de l’atterrissage. Si le pilote s’en sort sans blessures, l’appareil lui doit être renvoyé par train vers Walvis Bay. Heureusement, deux avions supplémentaires (n° 7 avec le Lieutnant Gordon S. Creed et n° 8 avec le Flight Sub-Lieutnant Thomas Hinshelwood) arrivent, les 19 et 20 juin. Le SAAC est, alors, divisé entre deux structures : le A Flight sur l’aérodrome d’Omaruru avec trois Henry Farman HF.27 et le B Flight à Walvis Bay, sous les ordres du Captain Basil H. Turner, à Walvis Bay pour la maintenance avancée. Une série de reconnaissance est alors organisée au-dessus des environs de Kalkfeld, lesquelles prouvent l’absence de troupes allemandes dans le secteur. Cependant, une fois de plus, la dotation est réduite lorsque le Captain Kenneth R. van der Spuy (avec le 1st Acraftman Stark) s’écrase à l’atterrissage et se brise la jambe.
Henry Farman HF.27 à Omaruru, entre le 20 et le 25 juin 1915, avec le Captain Kenneth R. van der Spuy (dans le cockpit) et le Lieutnant William W.C. Cary-Thomas. Après une formation au pilotage, ce dernier intègre la SAAF lors de sa naissance. Le 10 mars 1922, il décolle à bord d’un DH9 pour un vol d’observation à la suite de la révolte des mineurs blancs afrikaners du Rand. La tension est à son comble, quelques coups de fusil sont tirés en direction de l’avion, tuant sur le coup le malheureux. Source : SAAF Museum.
Le A Flight étant désormais privé d’avions, le B Flight avec ses deux Farman n° 7 et n° 8 (et leurs pilotes respectifs) est envoyés à Otjisasu, le 27 juin, pour suivre l’avance des troupes sud-africaines. Depuis Otjisasu, plusieurs sorties sont effectuées durant les derniers jours de juin afin de bombarder les Allemands, les appareils étant équipés de huit bombes de 16 lb. Dans le même temps, les problèmes techniques continuent…, ainsi le 30 juin le Flight Sub-Lieutnant Thomas Hinshelwood décolle à bord du Farman n° 8 (avec le Lieutnant John Clisdal) pour livrer un message à une colonne sud-africaine. Il rencontre rapidement des problèmes moteurs, et il doit se poser près de Brakpan. Le moteur peut, néanmoins, être changé rapidement sur place pour permettre au pilote de ramener son appareil à Otjisasu. Le 1er juillet, alors que le B Flight est désormais basé à Brakpan, le Captain Gordon S. Creed à bord du Farman n° 7 est en mesure de larguer deux bombes de 112 lb qui constituent désormais l’armement offensif de base. Le 4 juillet 1915, il décolle en direction de Tsumeb pour une reconnaissance armée de la gare. Selon les déclarations des prisonniers de guerre sud-africains sur place, une locomotive aurait été détruite lors de l’attaque. Il s’agit aussi de la dernière action du SAAC durant la campagne de Namibie. Si les appareils des Captain Kenneth R. van der Spuy et Flight Lieutnant John M. R. Cripps sont désormais réparés et en instance de transfert, la capitulation allemande stoppe les opérations. L’ensemble des appareils sont, alors, renvoyés vers Walvis Bay.
Henry Farman HF.27 sortit d’un des rares hangars à Walvis Bay. Source : SAAF Museum.
Le bilan du SAAC, composé désormais de 152 hommes (120 dans la section aviation et 32 dans celle transport) et quatre Henry Farman HF.27 en état de vol, demeure assez décevant. Les Sud-Africains n’ont jamais été en mesure d’aligner plus de deux appareils en état de vol, tandis que le nombre de missions est relativement faible, et sans impact réel. Il est vrai que son déploiement est des plus tardifs, au moment où les opérations militaires en Namibie sont virtuellement terminées. Celles-ci se limitent alors à une lente course-poursuite entre Sud-Africains et Allemands, ponctuée par quelques escarmouches mineures. Dans ces conditions, les avions sont contraints à des changements continus d’aérodromes avec toutes les conséquences en termes de maintenance et de manque de transport. C’est, de toute façon, l’heure d’une nouvelle disparition du SAAC. L’expérience namibienne a montré toutes les difficultés pour maintenir une force aérienne limitée avec des moyens quasi inexistants. En conséquence, le gouvernement sud-africain propose l’intégration du corps au sein du Royal Flying Corps pour opérer en Afrique orientale face aux troupes du général Paul von Lettow-Vorbeck. Cette proposition n’est pas totalement innocente à un moment où l’Afrique du Sud tente de prendre le contrôle du théâtre d’opérations dans le cadre de son agenda politique. Mais, il s’agit d’une autre histoire, celle du No.26 (South African) Squadron, Royal Flying Corps.
Deux Henry Farman HF.27 au décollage. Source: Scientific Society Swakopmund (Incorporated Association not for Gain). Source: SAAF Museum.
V) Conclusion
En conclusion, il est difficile de voir durant la courte Campagne de Namibie, un épisode crucial de l’aviation durant la Première Guerre mondiale. Les moyens étaient de toute façon bien trop limités et les installations trop rudimentaires pour espérer mieux. Chaque camp n’a jamais été en mesure d’aligner plus de deux avions en ligne, en raison des multiples problèmes techniques. Pourtant, il s’agit du seul exemple de l’utilisation active des moyens aériens par les différents belligérants sur le continent africain durant la Première Guerre mondiale. Malgré son aspect anecdotique, l’apport aérien aura des conséquences fondamentales à plusieurs titres. D’abord, cette pratique limitée montre son efficace dans le cadre de la reconnaissance aérienne, mais aussi du bombardement. La réflexion rapide côté Sud-Africain pour adapter un armement antiaérien, puis le développement de son propre corps aérien en est la preuve. La volonté forte des Allemands pour maintenir en état de vol ces deux appareils (parfois au prix de véritables exploits), leurs déplacements continuels au grès des mouvements terrestres en est une autre. Sur un territoire aussi vaste, les Sud-Africains seront ainsi capables de suivre la retraite progressive des troupes allemandes et de pouvoir les contourner accélérant la conclusion de la reddition, le 9 juillet 1915. Surtout la découverte du fait aérien par les responsables sud-africains sera capitale. Début 1915, l’éminence grise du Premier ministre Louis Botha, un certain Jan Smuts décrira son ravissement face à l’impact de l’aviation : « avant j’avais besoin d’envoyer plusieurs cavaliers, désormais un seul avion me suffit pour voir plus loin et plus vite ». Nommé, étrangement vu son faible bagage militaire, à la tête des forces de l’Empire britannique en Afrique Oriental, une de ses premières dispositions sera d’exiger des moyens aériens, lesquels seront fournis opportunément par le No.26 (South African) Squadron, RFC. En janvier 1917, il rejoint l’Imperial War Cabinet où il dirige la Commission en charge du problème des bombardements allemands. Celle-ci accouche du Smuts Report dont la conclusion préconise la mise en place d’une force aérienne indépendante, la Royal Air Force. Élu Premier ministre sud-africain, le 3 septembre 1919, il prend la même décision pour son pays créant la South African Air Force dont il restera un avocat majeur durant toute sa carrière.
Si la Campagne de Namibie aboutit à une victoire certaine de l’Afrique du Sud en raison d’une supériorité numérique et d’un manque de volonté manifeste du commandement allemand pour maintenir une résistance active, le pouvoir politique sud-africain ne pourra pas réellement remplir son agenda. Si le territoire est immédiatement placé unilatéralement sous son contrôle, l’Afrique du Sud n’obtiendra son attribution qu’au titre de mandataire, et ne pourra jamais l’intégrer formellement comme nouvelle province. À terme, l’Afrique du Sud sera embourbée dans une longue guerre (1966 – 1988) le long de la frontière avec l’Angola, tandis que le Portugal refusera toute négociation d’échange entre le nord de la Namibie et le port de Maputo. Le projet fantasmé de la grande Afrique du Sud ne verra jamais le jour.
L’ensemble du South African Aviation Corps dans la ville du Cap, après la Campagne de Namibie. Source: SAAF Museum.
[1] La Namibie constitue à l’époque la colonie du sud-ouest africain allemand ou Deutsch-Südwestafrika. Afin de simplifier la représentation géographique pour le lecteur, les noms actuels des différents lieux seront utilisés.
[2] Pour rappel l’Union of South Africa, regroupant les différentes colonies britanniques de peuplement et de conquête ainsi que les anciennes Républiques boers, est créé seulement en 1910 en conséquence des accords du traité.
[3] Pour ce point, il convient de rappeler que la vision partagée par l’essentiel des dirigeants afrikaners repose sur un certain racisme à base de supériorité raciale et de paternalisme vis-à-vis des populations autochtones. La nécessité d’une répression, voire d’affrontement de conquête ne pose pas de problème majeur car dicté par cette notion de paternalisme et l’idée que ces actions seront favorables à l’élévation, à long terme, des populations concernées. En revanche, la politique d’un massacre planifié et généralisé heurte violemment et provoque un réel mépris du colonialisme allemand, dont la poursuite est jugée comme un péril imminent et extrême pour le destin messianique des Afrikaners. Il est à noter que, malgré le racisme imprégnant ces théories et rapidement mis en application dans la législation, nombre de membres de l’élite afrikaners parlent couramment une ou plusieurs langues autochtones (ainsi, durant les négociations pour la capitulation allemande en Namibie, les officiers sud-africains utiliseront la langue zulu pour communiquer entre eux les informations essentielles et se prémunir de tout espionnage adverse), et entretiennent des relations amicales avec certains membres des élites indigènes. Ainsi, une des premières décisions du Premier ministre Louis Botha sera d’ordonner la libération du roi zulu Dinuzulu kaCetshwayo des geôles anglaise à Durban. Cet épisode explique notamment les tensions fortes (voir la haine) durant la Campagne de Namibie entre Louis Botha et le Brigadier-General Sir Duncas McKenzie (en charge de la Central Force).
[4] Pour plus d’information, SWINNICH, James W. History Without Evidence is Myth: J.G. Household and Claims of Flight in 1870’s Africa https://www.sapfa.co.za/images/files/flight_in_africa.pdf
[5] La structure militaire sud-africaine trouve son origine dans le South African Defence Act, de 1912, établissant l’Union Defence force. En réalité, elle est constituée d’une superposition de plusieurs structures afin de concilier les différentes allégeances anglo-saxonnes et boers. Les deux principaux éléments sont, d’une part la Permanente Force trouvant son origine dans les unités coloniales britanniques du Cap et du Natal (soit cinq régiments d’infanterie montée, disposant chacun d’une batterie d’artillerie), d’autre part l’ Active Citizen Force, héritière du système des commandos boers soit un ensemble d’unité d’infanterie montée formée de volontaires. La grande faiblesse du système tient en une séparation stricte des deux composantes principales, ainsi la Permanent Force est placée sous les ordres du Brigadier-General Henry T. Lukin, tandis que l’Active Citizen Force est commandée par le Brigadier-General Christian F. Beyers, sans qu’aucun ne dispose d’une préséance sur l’autre. On ne trouve pas, non plus, d’état-major pour coiffer le tout. La seule autorité hiérarchique est le ministre de la Défense, Jan Smuts, brillant politicien et homme central de politique sud-africaine, mais dont l’expérience militaire est des plus limitées. Les différents responsables du ministère sont pour l’essentiel des civils. Si on y ajoute, une séparation culturelle stricte entre les deux structures, et une guerre récente (la Seconde Guerre Anglo-Boers s’étant terminée en 1902), la grande faiblesse de l’institution militaire sud-africaine apparaît très rapidement. Et encore, il conviendrait d’en signaler d’autres…
[6] Il note aussi que la France lui paraît avoir pris une avance considérable, en matière aérienne, par rapport aux autres nations.
[7] Ce dernier semble avoir été sélectionné pour des raisons d’ordre politique, car il est le neveu de l’ancien Président de l’Etat-Libre d’Orange Marthinus Steyn et actuel Vice-Président de la commission en charge de la rédaction de la constitution de l’Union of South Africa. Jugé comme ne remplissant pas les conditions nécessaires, il sera libéré un mois après l’arrivée en Angleterre.
[8] Il est mortellement blessé, le 9 novembre 1914, lors d’une explosion accidentelle de grenades durant un essai. Il décède le 12 novembre.
[9] Les Allemands auront le temps de démonter l’antenne radio pour la réassembler à Aus.
[10] La rébellion éclate en septembre 1914 lorsque le Lieutnant-Colonel Manie Maritz décide de déserter avec une partie de ses troupes pour rejoindre la Namibie est proclamé l’indépendance des anciennes Républiques boers. Dans le même temps, le Brigadier-General Christiaan F. Beyers démissionne de ses fonctions et décide de rallier Christiaan de Wet, ancien Président de l’Etat-Libre d’Orange, dans une rébellion ouverte en s’appuyant sur les visions prophétiques de Siener van Rensburg. Le Premier ministre Louis Botha décide de proclamer l’état d’urgence en octobre et tout en rejetant une proposition d’aide britannique (par crainte que le débarquement de soldats britanniques n’envenime la situation) lance une opération militaire contre les révoltés. La révolte rate rapidement notamment à la suite de la décision du General James B. Hetzog de ne pas s’y associer. Ce renoncement aura pour conséquence de faire basculer la majorité des Afrikaners dans une neutralité ou un ralliement à Louis Botha. Privé d’un réel soutien et divisés les rebelles seront rapidement écrasés militairement tandis que le général Beyers se noiera ou se suicidera en tentant de fuir vers la Namibie. Les derniers révoltés se rendront courant décembre 1914.
[11] Les Allemands décident de faire sauter l’antenne — radio à Swakopmund pour justifier l’absence d’objectif militaire sur place. Celle-ci n’était, en outre, pas fonctionnelle.
[12] Le Skinny Liz existe encore de nos jours, puisqu’il est exposé à Kimberley, au South African Air Defence Artillery Gunners Memorial.
[13] Les accords prévoient que seuls les soldats réguliers et les sous-officiers sont internés. Les réservistes, ainsi que les officiers sont autorisés à jouir d’une pleine liberté de mouvement dans le territoire namibien, à condition de s’engager à ne pas reprendre les armes contre l’Afrique du Sud ou l’Entente.
[14] Il pourrait s’agir soit de Eric C. Wood (RAeC No.1081, 12 février 1915) ou James C.P. Wood (RAeC No.1037, 10 janvier 1915).
[15] Après son service en Afrique de l’Est, il décide d’intégrer définitivement la RAF. Il termine sa carrière comme Group Captain et décède le 12 mars 1955, à Londres, à l’âge de 64 ans.
[16] John Weston est un des pionniers de l’aviation en Afrique du Sud. Né en 1872 près de Vryheid (colonie du Natal), il essaye dès 1907 de monter un avion depuis Voisin, quoique sans succès. Il décide, alors, de partir en France pour suivre une formation de pilotages auprès des établissements Farman. De retour en Afrique du Sud en 1911, il fonde la Aeronautical Society of South Africa et tente d’importer et vendre des avions de construction française, tout en multipliant les démonstrations aériennes à bord d’un appareil dénommé Weston-Farman (moteur 50 hp Gnome). Il répond à l’appel d’offres, de 1912, pour la mise en place de l’école de pilotage pour former les membres du South African Aviation Corps, mais sa proposition est rejetée, tandis que son hangar prend feu mystérieusement détruisant ses moyens. Il rejoint le corps aérien sud-africain, le 6 février 1915, avec le grade de Lieutnant en charge de la construction et du maintien des aérodromes nécessaires. Après son service comme ingénieur en charge des aérodromes, John Weston rejoint le RNAS pour remplir le même rôle pour les déploiements dans les îles grecques. Après la guerre, il rejoint la mission britannique dans ce dernier pays devenant même à titre honorifique Vice-Amiral dans la Marine grecque. De retour en Afrique du Sud, il se lance dans le développement de caravanes. Il est tué, le 24 juillet 1950, lors de l’attaque de sa ferme. Il avait 78 ans.
Bibliographie sélective :
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CHAPMAN, Peter. Dust of the Horizon : The Air War in German South West Africa (1914 – 1915). Cross and Cockade, Vol.34, No.3, 2003. p.152 à 164.
CRUISE, Adam. Louis Botha War : The Campaign in German South-West Africa, 1914 – 1915. Zebra Press, 2015. 220 p.
MCGREGOR, Gordon et GOLDBECK Manfred. The First World War in Namibia – August 1914 – July 1915. Gondwana Collection, 2014.
ILLSLEY, John William. In Southern Skies. A Pictorial History of Early Aviation in Southern Africa (1816 – 1940). Jonathan Ball Publishers, 2003. 362 p.
SAMSON, Anne. World War I in Africa : The Forgotten Conflict Among The European Powers. I.B.Tauris, 2013. 306 p.
SELIGMAN, Matthew S. Rivalry in Southern Africa (1893 – 1899). Macmilian Press, 1998. 200 p.
SILBERBAUER, Dick. The Origins of South African Military Aviation (1907 – 1919). Cross and Cockade, Vol.7, No.4, 1976. p.174 à 180.
STEJSKAL, James. The Horns of the Beast, The Swakop River Campaign and World War I in South-West Africa (1914 – 1915). Helion and Company, 2014. 140 p.
VAN DER SPUY, Kenneth Reid. Books of Africa, 1966. 261 p.