31 Décembre 1940

31 Décembre 1940

Front Nord

La dernière journée du mois de décembre 1940 est relativement calme si on excepte une sortie par trois Bristol Blenheim, du No.8 (RAF) Squadron, en direction d’Assab, où une fois de plus les rapports se limitent à signaler que «  l’essentiel des bombes pourrait être tombé dans la zone d’attaque — aucun dommage observé ».

Cet évènement assez insignifiant illustre assez bien les opérations aériennes côté Britannique durant cette période. L’activité aérienne est relativement intense. Ainsi, les quatre escadrons de bombardements déployés au Soudan et à Aden enregistrent près de 150 sorties opérationnelles. Ces derniers restent, cependant, difficilement descriptibles en se limitant à un ou trois appareils envoyés sur différentes cibles afin de larguer quelques bombes, la quasi-totalité du temps sans pouvoir donner la moindre évaluation des bombardements. Il est, de toute façon, fort probable que les résultats soient assez négligeables, voire inexistants, en termes de dégâts. Ces raids ont, pourtant, un effet psychologique qu’il ne faut pas oublier en maintenant une certaine pression sur les Italiens et les troupes indigènes, tout en renforçant l’impression de puissance des Britanniques. Ils ont, en outre, un impact supplémentaire dans la guerre d’usure que la Regia Aeronautica est contrainte de mener avec une réserve d’appareils des plus limitées. En parallèle, une partie des Vickers Wellesley sont aussi employés pour soutenir les « Patriotes» éthiopiens afin de perturber l’adversaire italien. Ainsi, durant la journée, les No.47 et No.223 (RAF) Squadron réussissent l’exploit de concentrer six Vickers Wellesley (trois pour chaque unité) afin de monter une attaque contre les camps italiens de Dangela et Wanbera, entre 3 h 50 et 11 h 15, afin de soutenir les patriotes éthiopiens. Si l’ensemble des bombes tombent sur la cible, provoquant un important nuage de poussière, il reste très délicat là encore d’analyser le résultat de ce type d’opération, indépendamment de l’aspect psychologique qui reste l’objectif majeur.

La situation n’est guère meilleure pour la Regia Aeronautica. Cette dernière lance, à partir du 15 décembre, une série d’attaques sur Port Soudan avec ses Savoia-Marchetti SM.79. Les Britanniques et Sud-Africains répondent puisque deux bombardiers italiens sont revendiqués détruits le lendemain, par les Major Lawrence A. Wilmot et le Captain Kenneth W. Driver du No.1 (SAAF) Squadron. Dans le même temps, le Gloster Gladiator K7974 (Pilot Officer Alan Tofield), du K (RAF) Flight, est endommagé lors d’une tentative d’interception. Cette bataille aérienne de Port Soudan se terminera, cependant, le 22 décembre par une sorte de match nul en raison des conditions climatiques. Il est vrai que la RAF et la SAAF ont, essentiellement, eu pour objectif de compenser la lourde saignée de la bataille de Gallabat. Ainsi, le mois de décembre a été principalement caractérisé par le déploiement d’appareils supplémentaire, dont plusieurs, Gloster Gladiator pour le K (RAF) Flight (cinq appareils), tandis que cinq Hawker Hurricane ont été transférés, par les Sud-Africains, en direction du Soudan. Ces derniers ont été regroupés pour assurer la protection de Port Soudan (où les troupes indiennes continuent de débarquer en vue de la future offensive). Dans le même temps, le reste du No.1 (SAAF) Squadron reste déployé sur les aérodromes frontaliers avec ses Gloster Gladiator.

Ces derniers évènements aériens, au-dessus de Port Soudan, permettent toutefois de mettre en évidence l’échec de la Regia Aeronautica dont les bombardiers ont été incapables de perturber la navigation en mer Rouge et l’arrivée des renforts indiens. Cette incapacité peut s’expliquer par plusieurs raisons. Tout d’abord la réaction de la chasse britannique et sud-africaine, même s’il convient d’en nuancer l’impact, mais aussi et surtout la protection permanente assurée par les Bristol Blenheim du No.203 (RAF) Squadron, et plus récemment ceux du No.14 (RAF) Squadron. Si ces appareils ne constituent pas la panacée pour bloquer une attaque aérienne, ils ont pour conséquence de faire planer le risque de pertes aériennes aux Italiens. Or, c’est ici que le bât blesse. En effet, la Regia Aeronautica souffre d’un manque réel d’avions. Les vieux et lents Caproni Ca.133 ne sont absolument pas capables de mener des attaques antinavires et dangers face à la chasse anglaise en l’absence d’escorte. Ils sont, donc, essentiellement réservés pour opérer sur le front dans une situation plus favorable comme lors de la bataille de Gallabat. Certes, il existe bien des Savoia-Marchetti SM.79 et SM.81 plus moderne.

Toutefois, là encore, les difficultés ne manquent pas : d’une part les équipages ne sont pas spécifiquement formés à l’attaque des navires ; d’autre part le nombre relativement faible n’incite guère le commandement italien pour les employer dans des missions très hasardeuses avec un risque de perte existant. Les bombardements, comme à la mi-décembre sur Port Soudan, ont ainsi lieu essentiellement durant des périodes où les conditions météorologiques rendent délicate une interception par les Britanniques, mais évidemment avec les conséquences en termes d’efficacité du bombardement. Inversement, la chasse italienne fait preuve d’une efficacité importante pour mettre en échec les bombardements adverses. Si ces derniers ne sont pas en mesure d’être stoppé, les Britanniques se retrouvent dans une démarche similaire aux Italiens en privilégiant d’employer les obsolètes Vickers Wellesley dans des attaques nocturnes avec là encore des résultats peu probants. Ce choix n’empêche pas les pertes puisqu’un Bristol Blenheim et deux Vickers Wellesley sont revendiqués par les Italiens, tandis qu’au moins cinq autres sont endommagés à des degrés divers suite à un affrontement dans ce type de missions.

Cet apparent succès cache, toutefois, un problème supplémentaire pour les Italiens. Il s’avère, en effet, quasiment toute l’œuvre de la 412 Squadriglia (et en particulier du Tenente Mario Visintini). Là encore, la Regia Aeronautica souffre d’un manque criant de chasseurs modernes pour assurer une réelle défense aérienne de l’AOI, contraint de devoir concentrer les appareils en laissant de grands vides ailleurs. En parallèle, la chasse italienne tente de multiplier les raids aériens que ce soit l’aérodrome de Goz Regeb (12 décembre) ou de Al-Qadarif (27 décembre). Si ces attaques constituent des succès aboutissant à la destruction de plusieurs appareils adverses au sol, tout en prenant à chaque fois la défense aérienne par surprise, ils illustrent le même problème. Ils sont encore et toujours le fait des 412 et 413 Squadriglia dont les avions et les pilotes sont soumis à une érosion progressive de leur potentiel, et dont l’avenir s’avère de plus en plus incertain faute de renfort en terme quantitatif et qualitatif (contrairement à leurs adversaires, lesquels sont en mesure de compenser les pertes).

 

Front Sud

Dans le même temps, l’activité aérienne sur le front sud a été relativement limité pour deux raisons essentielles : d’une part la Regia Aeronautica dispose d’effectifs toujours plus faibles ; d’autre part en raison de profond changement au sein de la SAAF. Cette dernière dispose désormais de renfort non négligeable avec l’arrivée des No.3 (SAAF) Squadron, entièrement équipé de Hawker Hurricane, et du No.41 (SAAF) Squadron dont les antiques Hartbees permettent, néanmoins, de renforcer la coopération avec les unités au sol dont la Bataille de El Wak a montré tout l’intérêt. D’une façon plus anecdotique, on peut signaler l’arrivée des No.34 (SAAF) Coastal Flight (Avro Anson) et du No.14 (SAAF) Squadron (Martin Maryland).

Cette abondance ne doit pas faire oublier certaines limites. Une partie des appareils contre les Junkers Ju.86, Hawker Fury ou Hartbees sont obsolètes, d’autres comme les Avro Anson souffrent d’un état déplorable rendant la maintenance des plus délicates, comme l’affaire des Fairey Battle l’a démontré. Force est de constater que les Sud-Africains manquent encore largement de personnels qualifiés et matériels pour assurer un bon entretien des appareils. Toutefois, on ne peut nier qu’au Kenya, ils disposent désormais de moyens aériens conséquents et largement supérieurs à l’adversaire. Si les Italiens comme lors des évènements du 29 décembre sont encore en mesure de dominer la chasse sud-africaine, laquelle perd deux pilotes, il s’agit davantage des gains d’une expérience supérieure des pilotes italiens. Malheureusement, ce facteur humain qualitatif peut difficilement compenser l’infériorité de plus en plus prégnante en termes de nombre d’appareil, mais aussi de qualité de ces derniers. Les Caproni Ca.133 et Fiat CR.32 peuvent difficilement s’opposer aux Hawker Hurricane, Fairey Battle ou Martin Maryland.

 

Conclusion

Les deux offensives (Gallabat – El Wak) marquent la fin de ce qu’on pourrait définir comme la première phase de la campagne d’Afrique orientale. Celle-ci a surtout été caractérisée par trois éléments. Tout d’abord, la volonté britannique de neutraliser la menace d’un blocage de la mer Rouge par les Italiens grâce à une série d’attaques contre les ports et aérodromes d’Érythrée. Certes, il apparaît que progressivement la Regia Aeronautica va transférer ses unités vers l’intérieur.

Toutefois, il est difficile d’en attribuer l’unique responsabilité aux attaques aériennes. En effet, la majorité de ces dernières sont le fait d’un nombre réduit d’appareils, et les résultats sont souvent des plus limités (en ce sens, les archives disponibles montrent bien que les équipages étaient souvent réalistes quant à leurs actions). Il faut en outre bien reconnaître que le commandement italien se retrouve confronté à plusieurs impératifs : éviter une guerre d’attrition ; gérer une situation intérieure délicate ; l’échec de ses propres bombardements ou tentatives d’agir sur le trafic maritime.

Par ailleurs, conformément à sa stratégie défensive, l’Italie se voit dans la nécessité de lancer une série d’attaques limitées aux frontières afin de sécuriser l’Empire et réduire ses lignes de défense. D’où la nécessité de redéployer ses unités de bombardement afin de soutenir les opérations terrestres en des lieux très éloignés les uns des autres. Car une autre des caractéristiques majeures des opérations aériennes est l’extrême étendue du théâtre d’opérations imposant une autonomie importante des différents fronts les uns par rapport aux autres.

Durant toute cette période, les Britanniques se retrouvent dans l’attentisme par manque de moyens sur place : la situation initiale des forces aériennes démontre bien cet état de fait, avec des appareils obsolètes à la valeur combative des plus réduites. Mais surtout, les Britanniques peuvent s’accrocher à un espoir : l’épuisement à terme de leur adversaire faute de liaison avec la métropole et une stratégie initiale d’isolement et non d’occupation. Les souvenirs de la campagne contre l’insaisissable général Von Lettow-Vorbeck au cours de la Première Guerre mondiale sont sûrement encore présents et expliquent cette méfiance initiale.

Toujours est-il que la Regia Aeronautica, malgré ses victoires durant l’année 1940, se trouve confrontée à un combat qu’elle ne peut gagner à terme, et pour lequel chaque perte (matérielle et humaine) a un impact réel face à un ennemi qui peut moderniser son équipement et bénéficier du renfort non négligeable d’une force aérienne alliée. Ainsi, au 1er janvier 1941, la Regia Aeronautica ne dispose plus que de 132 appareils opérationnels, dont 41 bombardiers modernes (et 52 Caproni Ca.133) ainsi que 35 chasseurs. Si les pertes ont été relativement importantes (environ 137 appareils, parmi lesquels 83 abattus ou détruits au sol), elles n’ont été comblées que par les réserves désormais réduites à peu de chose. Au moment où les Britanniques décident de modifier leur stratégie, la Regia Aeronautica a définitivement perdu son avantage (quantitatif et qualitatif) et se retrouve à lutter pour sa survie tout en intervenant activement dans les opérations terrestres qui se déclenchent sur les trois fronts (Nord, Sud et intérieur).

Comme l’indique, le Generale Pietro Pinna Parpaglia :

« Nous sommes forcés, désormais, d’assumer une attitude strictement défensive sur l’ensemble du front et de nous préparer à subir l’initiative de l’ennemi ».

Un Hawker Hurricane Mk I du No.1 (SAAF) Squadron sur l’aérodrome de Port Soudan. Il pourrait s’agir du Major Lawrence A. Wilmot à bord. Collection : Imperial War Museum.

 

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