Départ pour la France (10 novembre 1939)
Le 4 octobre, le No.615 Squadron apprend son départ imminent pour la France afin d’intégrer l’Air Component de la British Expeditionary Force. Ce choix peut paraître étrange en raison du manque d’expérience criant des pilotes et d’un équipement désuet avec le Gloster Gladiator. Ce n’est, ainsi, pas un hasard, si plusieurs pilotes réguliers de la Royal Air Force ont été envoyés pour compléter les effectifs. Il est vrai que le cas du No.615 Squadron n’est pas unique puisqu’une autre unité de la Auxiliary Air Force est présente, en l’espèce, le No.607 (County of Durham) Squadron. Ce choix est, en outre, dicté par une longue réflexion au sein de la RAF concernant l’engagement de la force aérienne sur le continent en cas de guerre. Les premiers éléments concrets apparaissent en février 1938 lorsque la composition terrestre du la British Expeditionary Force est fixée. Une première approche de War Office envers l’Air Ministry est enclenchée afin de réviser le plan initial en demandant la présence de deux Squadrons supplémentaire de chasse. La requête est acceptée sur le principe, quoique dès le 29 avril une première réserve est faite en raison d’un manque de matériel adéquat, et d’une nécessaire coordination avec l’Armée de l’Air française afin d’en confirmer ou non la nécessité. Dans le même temps un rapport de l’Imperial Defense Joint Intelligence Committee, de février 1939, portant sur les leçons des combats en Espagne vient jeter le trouble. Les conclusions sont assez surprenantes quant à l’utilisation effective des chasseurs dans l’appui aux opérations au sol. Dans cette hypothèse, il est indiqué que les monoplans Polikarpov I-16 ont fait preuve d’une unité bien moindre que les biplans Polikarpov R-5 en raison d’une vitesse plus adaptée pour viser avec précisions les objectifs au sol[1]. Si le rapport est rapidement rejeté par l’Air Ministry en argumentant que les conditions d’opérations (et de terrains) en cas de conflit avec l’Allemagne ne seront pas celles de la Guerre civile espagnole, la défense du Gloster Gladiator se trouve renforcée. Dans le même temps, une dispute éclate entre l’Air Commodore John C. Slessor (Director of Plans, Air Ministry) et l’Air chief marshal Hugh C.T. Dowding. Le premier modifie rapidement les plans en demandant désormais une couverture aérienne par au minimum huit Squadrons de chasse, lesquels ne seront pas à disposition unique de la British Expeditionary Force, mais pour être employés sur l’ensemble du front selon les besoins. Or, cet argument fait l’objet d’une opposition frontale de Hugh C.T. Dowding en se basant sur deux arguments : d’une part, des chasseurs modernes ne peuvent opérer que sur des bases aériennes bien équipées et non sur des terrains de campagne ; d’autre part, l’équipement actuel de la RAF est insuffisant pour remplir la double mission de défense du territoire britannique et des opérations extérieures (sans compter la défense de l’Empire). Finalement, un difficile accord est obtenu pour l’envoi de six Squadrons de chasse en France…, accord relativement mal interprété par les parties en présence : John C. Slessor espérant attendre le départ à la retraite imminent (juin 1936) de Hugh C.T. Dowding[2], tandis que ce dernier considère que cet accord donne la priorité à la défense du Royaume-Uni et qu’il s’agit du maximum autorisé. Un second argument vient renforcer sa défense. Dans un rapport sur le rôle de la RAF en France[3], l’Air Commodore Keith R. Park déconseille fortement l’envoi des Spitfire et Hurricane sur le contient au motif que, selon un très curieux argument, les unités concernées ne sont pas entraînées et équipées pour le combat contre chasseur. Il explique que ces intercepteurs modernes sont trop rapides et pas assez manœuvrables pour affronter les chasseurs adverses et les appareils de coopération au sol. Dans ce rôle, le Gloster Gladiator est, à son avis, bien mieux adapté. Ce positionnement est rapidement renforcé par l’avis de l’Air Chief Marshal Edgar R. Ludlow-Hewitt (en charge du Bomber Command), lequel préconise aussi l’utilisation du Gloster Gladiator voire même du Gloster Gauntlet comme la meilleure option pour escorter ses bombardiers. Finalement, le dernier plan prévoit que dans l’hypothèse où une guerre éclaterait au 1er septembre (date choisie ironiquement de façon arbitraire), seulement six escadrilles de chasse sur Hawker Hurricane seraient envoyées sur le continent, malgré les demandes pressantes de l’armée pour en augmenter le nombre. Un dernier renfort décisif à la position de Dowding est jeté dans la balance, le 14 septembre, par l’Air Vice-Marshal William L. Welsh (en charge de l’approvisionnement en avion). Dans son rapport[4], il explique que si
« la production a excédé les attentes pour équiper les unités aériennes, il faut regretter un gaspillage alors même que les opérations n’ont pas encore commencé (…). Afin de lutter contre cette situation fâcheuse, il convient de n’envoyer en France que des escadrilles équipées de Gloster Gladiator (…). Cet appareil est, particulièrement, populaire auprès de nos pilotes, tandis que les nombreux rapports sur la Guerre d’Espagne ou les évènements chinois ont prouvé toute la valeur des biplans dans les opérations aériennes (…). Il convient donc de préparer le plus rapidement possible au mois trois cents exemplaires de cet appareil en cas de besoin (…). Par ailleurs, il serait extrêmement utile d’équiper les prochaines escadrilles, envoyées en France, avec cet appareil ».
Finalement, après plusieurs rencontres entre l’Air Marshal Arthur S. Barratt (officier de liaison auprès de l’Armée de l’Air) et le Général Joseph Vuillemin, décision est prise, en octobre 1939, d’envoyer deux escadrilles de chasse supplémentaire équipé du Gloster Gladiator. Le choix s’explique, donc, par une double croyance entre l’idée que ce biplan est le meilleur chasseur dans le rôle souhaité, et celle de vouloir conserver à l’arrière, pour la défense de l’Angleterre, les chasseurs modernes[5].
Toujours est-il que, indépendamment de ces débats, le 10 novembre, l’ordre de transfert vers la France est annoncé en direction de l’aérodrome de Merville. En raison du mauvais temps, le départ commence cinq jours plus tard lorsque les seize Gloster Gladiator décollent de Croydon à 11h30 pour se poser à Merville à 13h00. De leurs côtés, les Flying Officer Walter O. Stern et Pilot Officer John R. Lloyd embarquent à bord d’avions de transport, en compagnie de 54 hommes de troupe. Le vol est effectué, en compagnie des Gloster Gladiator du No.607 (County of Durham) Squadron, ainsi que d’une collection d’appareils de transport très hétéroclites, en l’occurrence : cinq Armstrong Whitworth A.W. 27 Ensign, quatre De Havilland DH.86, un Avro 618 Ten, un Fokker et deux Short L.17 Scylla. Le reste du personnel arrivant le lendemain, à bord de deux Armstrong Whitworth A.W. 27 Ensign.
[1] Subcommittee on Air Warfare in Spain: report, minutes and papers. Kew : The National Archives, CAB56/5.
[2] Celui-ci devait, alors, être remplacé à la tête du Fighter Command par Air Vice Marshal Christopher Courtney, lequel partageait la position de Slessor. Il sera, cependant, sérieusement blessé dans un accident d’avion en 1939, ce qui aboutira à prolonger le service de Dowding jusqu’en juin 1940…
[3] The role of Fighter Squadrons in France. Kew : The National Archives, AIR 16/119
[4] Hawker Aircraft Ltd: development and performance of Hurricane aircraft. Kew : The National Archives, AVIA 10/19.
[5] Pour de plus amples détails sur ces débats, voir BAUGHEN, Greg. The RAF in the Battle of France and the Battle of Britain: A Reappraisal of Army and Air Policy 1938-1940. Fonthill, 2017. 288 p.