Hindenburg - Jean-Paul Bled
Jean-Paul Bled. Hindenburg : L’homme qui a conduit Hitler au pouvoir. Tallandier, 2020. 331 p.
Paul von Hindenburg. Rarement un homme n’aura autant contribué à la marche des évènements et au drame allemand et européen pour finalement tomber dans un relatif oublie. Et pourtant sa responsabilité vis-à-vis de l’Histoire est particulièrement lourde, quoiqu’il a longtemps été relativement épargné pour tout un ensemble de raisons.
Précisions qu’il s’agit, à ma connaissance, de la première biographie en français qui lui est exclusivement consacrée, ce qui rend cet ouvrage extrêmement intéressant.
Pourtant force est de constater que sans la WWI, Paul von Hindenburg aurait été largement oublié sauf par quelques rares spécialistes. Certes, il mène une carrière d’officier très honorable sous la période wilhelminienne sans jamais atteindre les sommets. Cependant admis à la retraite en 1911, il aurait dû terminer sa vie en toute quiétude et ne jamais entrer dans les livres d’histoire, tout comme un certain Philippe Pétain.
C’est son rappel surprise en 1914 et la légende de Tannenberg (dont son rôle réel est bien moindre) qui le conduit à rencontrer son destin. Désormais ses pas croiseront en permanence l’histoire allemande.
Suite à diverses intrigues, il prend les commandes du Grand État-Major, en compagnie de Erich Ludendorff, en septembre 1916 où il installera progressivement une quasi-dictature militaire au nom de l’effort de guerre. Force est de constater que le duo Hindenburg / Ludendorff prendra progressivement une série de décision qui s’avèrera catastrophique et conduira à l’effondrement du Front intérieur, mais aussi de l’Armée allemande durant l’année 1918. Pourtant Hindenburg réussira un véritable exploit en transférant toute la responsabilité sur les autorités civiles, d’une part en lâchant lamentablement le Kaiser (attitude très incohérente avec ses références continuelles à l’honneur de l’Officier prussien) à partir de l’été 1918, d’autre part en rejetant la défaite sur la nouvelle République de Weimar. Il se paye même le luxe d’être innocenté de tout lien avec la défaite pour la commission d’enquête de 1919 – 1920, son action étant même considérée comme l’une des plus grandes performances de l’histoire militaire. Et pourtant…
Il profite notamment de cette commission d’enquête pour popularisé la fameuse théorie du Dolchstoßlegende : « le Coup de poignard dans le dos », là encore totalement incohérente avec les différentes mémoires et courrier / télégramme rédigés par Hindenburg et Ludendorff à partir de l’été 1918. Encore un joli exemple de réécriture pour fuir ses responsabilités…
Sa seconde retraite sera cependant relativement courte puisqu’il décide d’entrer en politique, sans grande conviction, en 1925 pour participer à l’élection présidentielle. Élu Président du Reich face à son adversaire du Zentrum (Wilhelm Marx) : avec 48 contre 45 % (avec ici une lourde responsabilité du KPD, car avec Wilhelm Marx l’Histoire aurait peut-être bifurqué plus favorablement…).
S’il montre immédiatement sa volonté de solder la République et une hostilité, voire une véritable haine, vis-à-vis des sociaux-démocrates, son premier mandat est relativement insignifiant. Les choses changent brusquement à partir de 1929/1930 lorsqu’il décide d’intervenir plus activement dans la politique en faisant usage de ses pouvoirs constitutionnels (quoique souvent de façon inconstitutionnelle) notamment le fameux article 48 permettant à l’exécutif de prendre des décrets d’urgence sans consultation du Parlement. Progressivement émergence la mise en œuvre d’un bloc national-conservateur capable de gouverner tout en étant minoritaire au Reichstag (notamment pour écarter le tout puissant SPD), ainsi qu’une progressive radicalisation pour concurrence le NSDAP. L’ensemble conduisant progressivement au 30 janvier 1933…
Là encore la responsabilité d’Hindenburg est flagrante, car il était encore largement possible de barrer le chemin à Hitler, soit en réactivant le jeu parlementaire (rappelons que le NSDAP n’était pas majoritaire) ou en acceptant la proposition de son ancien ailier Schleicher. À tel point qu’il s’empresse d’accord à Hitler ce qu’il avait refusé quelques jours avant à Schleicher et Papen. Si Hindenburg avait pu éprouver une aversion au « Caporal autrichien », elle est alors largement retombée en faveur d’une certaine admiration.
S’il fait preuve d’une vague opposition en demandant de suspendre provisoirement l’application des premières mesures anti-juives aux anciens soldats de la WWI, il signe sans la moindre hésitation l’ensemble des textes conduisant à l’édification de l’État nazi.
Malade et retiré dans sa propriété de Neudeck à partir de l’été 1934, il signe sa dernière trahison en sacrifiant la tentative de contre-révolution des nationaux conservateurs (suite au discours de Marbourg) en avalisant la « Nuit des longs Couteaux », laquelle ne touche pas uniquement les SA, mais permet à Hitler de faire un vaste ménage. Hidenburg n’hésitant pas à y sacrifier plusieurs de ces anciens ailiers et fidèles comme Schleicher.
Il décède le 2 août 1934 à l’âge de 86 ans après avoir largement ouvert la voie au drame allemand et au futur cataclysme de 1939…
Pourtant il réussira une fois de plus à faire oublier sa responsabilité au profit d’une série d’arguments fallacieux : le héros de la WWI, une soi-disant opposition au « caporal autrichien », la sénilité, etc. tandis que l’homme n’intéressera guère les historiens. Il faudra attendre les années 2000 pour voir enfin émerger une vision critique de son action.