La division Handschar - Xavier Bougarel
Xavier Bougarel. La division Handschar: Waffen-SS de Bosnie – 1943-1945. Passés Composés, 2020. 437 p.
Je reconnais que j’étais au départ très dubitatif sur ce livre, pas forcément fan des monographies sur la Waffen-SS, mais le sujet avait une petite originalité. Après avoir terminé la lecture, je le recommande très fortement, car finalement la Division Handschar apparaît presque en second plan, l’analyse portant davantage sur la Bosnie durant la WWII.
Précisions aussi que l’auteur est un spécialiste sur l’Histoire de la Bosnie et on note de très nombreuses sources (archives et publications) d’origine bosniaque, croate et serbe dans la bibliographe, ce qui apporte une richesse supplémentaire au livre. L’auteur ayant été en mesure de consulter les différents dossiers relatifs aux soldats, les copies de lettres, les rapports des commissions serbes sur les crimes de guerre ou des articles et monographies écrits localement dans les années 1970 – 1980 avec les témoignages des vétérans. On trouve donc de nombreux éléments absents des autres livres / articles anglo-saxons ou allemands traitant du sujet.
En premier lieu, l’ouvrage traite (comme son nom l’indique) de la division Handschar. Division très particulièrement de la Waffen SS puisque constitué de personnels non germanique et inscrit dans la double vision allemande (ministère des Affaires étrangères et SS) vis-à-vis de l’Islam. Celle-ci repose sur une certaine fascination de cette religion chez certains hauts responsables de la SS, ainsi que l’idée selon laquelle l’attitude de l’Allemagne par rapport à l’Islam serait en mesure de provoquer une vaste rébellion capable de faire chuter l’Empire britannique. Évidemment cette analyse sera un échec complet (il est, par ailleurs, amusant de retrouver certains noms communs, côté allemand, avec les tentatives faites durant la WWI… et avec les mêmes ratés).
Ainsi dans le cadre de la Bosnie, on retrouve cette idée selon laquelle l’attitude favorable de l’Allemagne (et la présentation de Hitler comme le second prophète annoncé dans le Coran) ferait basculer la Turquie, puis l’ensemble du monde musulman… Sauf que comme le démontre l’auteur notamment en compilant les dossiers militaires, la mise en oeuvre de la Division Handschar s’avère un échec complet sur le plan religieux.
– les recrutements volontaires sont des plus réduits environ 30% de l’effectif total, le reste reposant sur une conscription imposée (transfert automatique des soldats musulmans de l’Armée croate, tentative d’incorporation des milices locales provoquant souvent des désertions massives, conscription obligatoire, etc…). En outre, la quasi-totalité des volontaires est trouvée notamment chez les réfugiés ou les paysans pauvres, essentiellement motivés par la solde. En réalité, les autorités locales de la SS auront toutes les peines du monde à atteindre l’effectif nécessaire pour faire fonctionner la Division ;
– l’encadrement Officiers et Sous-Officiers est quasi exclusivement composé d’allemand du Reich et surtout d’allemand de souche (Volksdeutsche) qui conserve une vision raciste vis-à-vis des populations balkaniques ;
– l’ensemble de l’éducation religieuse et politique étant géré directement depuis les instances de la SS à Berlin.
En deuxième lieu, l’ouvrage (et c’est son point fort) traite longuement de la Bosnie durant la WWII. Notamment à travers les relations souvent complexes et troupes entre Allemands, Oustachis, Tchetniks, Partisans et populations civiles. On note la perte rapide de confiance du Reich avec l’État croate Ante Pavelić et les tentatives de contourner ce dernier sans totalement rompre les liens. On retrouve classique avec le IIIe Reich, la concurrence des différentes structures (militaires, affaires étrangères, SS) avec des visions et des plans parfois radicalement différents et tentant de se court-circuiter. Ne connaissant personnellement pas le sujet, j’ai aussi été surpris avec les nombres aspects de coexistences entre la Werchamcht / SS et le mouvement Tchetniks pour le combat face aux Partisans, ce qui illustre toute la complexité de la situation.
En troisième lieu, l’analyse de l’auteur montre bien les véritables raisons derrière la création de la Division Handschar, c’est-à-dire la main mise progressive de la SS à partir de 1941 – 1942 sur de nombreux secteurs du IIIe Reich. Plus que la création d’une Division, on assiste à la tentative de mise en oeuvre d’une réorganisation des Balkans par la SS, dont la Bosnie fait oeuvre d’expérimentation pratique. On s’aperçoit à travers la planification d’une volonté de court-circuiter les autorités croates (par exemple, interdite de toute conscription, justice, etc…) dans le territoire sous contrôle de la Division Handschar. La mise en oeuvre d’une réorganisation démographique en transfère d’un village à un autre les Serbes / Croates ou musulmans. Le projet d’élimination des villes pour créer une économie agricole sous forces de villages-soldats devant assurer la protection des futures marches extérieures du Reich… etc. En parallèle, il est expérimenté une manière différente de gérer la lutte anti-partisane d’une façon différente de l’URSS à travers une tentative de pacification et de projet politique. L’ensemble reste toutefois un échec et la Division Handschar connaître son lot de massacres et crimes divers.
Au final, un ouvrage vraiment intéressant pour comprendre davantage la WWII dans les Balkans à travers un zoom sur une région particulière : en l’espèce la Bosnie. Mais aussi pour illustrer les nombreux projets de la SS pour la réorganisation de l’Europe du sud-est à travers une expérimentation précise.
Pour le reste, la création de la Division Handschar apparaît comme un échec retentissant. L’idée d’en faire un des flambeaux de l’Islam pour allumer le brasier britannique donne des résultats médiocres en termes de recrutement, l’emploi de la Division sera essentiellement limité à la lutte anti-partisane, tandis que sa durée de vie sera finalement très courte : déployer en Bosnie (après sa formation) en février 1944, elle cesse quasiment d’exister dès l’automne suite aux désertions massives. Les débris (environ 2 000 hommes) seront progressivement amalgamés dans diverses autres unités SS.